Du «rex Francorum» au «roy des François» IV
Du «rex Francorum» au «roy des François» IV
La titulature des souverains des pays de France : du «rex Francorum» au «roy des François» (680 – 1790)
IV : Conclusion, notes et références
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4 - CONCLUSION
Une fois qu'on a résolu de se plier au principe de «l'exigence positiviste», telle que l'a mise en exergue Elie Berger, on se décide alors de ne pas prendre pour argent comptant les traditions transmises et répétées par les copistes et les commentateurs. La connaissance directe et l'étude des sceaux royaux garantissent l'originalité du document, mais surtout l'authenticité du titre du souverain. En regroupant chronologiquement ces légendes dans un tableau typologique, on brosse alors une image de l'histoire de France bien différente de celle fournie par le roman national.
On aurait pu s'attendre à une évolution «naturelle» et graduelle du titre du souverain. Ses formes successives auraient résulté de changements d'usages linguistiques, transformant d'abord le «rex Francorum» en «rex Franciae», avant d'aboutir au moderne «roy de France.»
On peut être surpris par le passage direct de la forme «Francorum rex» à la forme en français. Mais notre tableau montre positivement qu'aucun des rois de France n'a jamais porté le titre de «rex Franciae.» Suivant les critères modernes, c'est l'Anglais Édouard III, petit-fils de Philippe IV «le Bel», qui prit ce titre en 1340 pour rallier à sa cause les Flandres. On peut donc résumer «la guerre de cent ans», comme la lutte opposant le «rex Franciae» Plantagenêt au «Francorum rex» Valois.
On a cependant observé une évolution linguistique relevant d'une variation diachronique des usages. On explique ainsi les déplacements des positions postposées, ou antéposées du génitif, dont relève le passage du «Gratia Dei» au «Dei Gratia.» Ces variations linguistiques peuvent aussi avoir des implications sémantiques, signifiantes sur le plan politique. Elles permettent de différencier le «rex Francorum» mérovingien, du «Fracorum rex» capétien. On s'aperçoit alors de la pauvreté de la traduction française, puisque la trop simple expression de «roi des Francs», s'avère incapable de différencier deux réalités dynastiques distinctes.
Thierry (680) entame la brève, mais stable et cohérente, dynastie des «rex Francorum.» Elle sera suivie de la dynastie capétienne caractérisée par l'instabilité systématique de la forme du titre du souverain. Pourtant, c'est à cette époque qu'apparaissent les éléments réutilisés plus tard par les titres des souverains capétiens. C'est Henri Ier (1031) qui donnera à la fois, l'ordre canonique de la légende «DEI GRATIA FRANCORUM REX», et l'arrangement traditionnel de l'illustration enluminant le sceau de majesté.
La légende du sceau pourra être parfois enrichie. D'abord par le chiffre du roi à partir de «Karolus Octavus» (Charles VIII, 1495). Ensuite, en épousant une reine d'un autre État, le roi de France pourra aussi enrichir son titre de celui de son épouse (la Navarre ou l'Écosse.) Mais dans son noyau, le titre restera inchangé jusqu'à son passage à sa forme en français.
On s'aperçoit que la forme précise du titre résulte d'un choix, parfaitement réfléchi, et exprime le projet politique particulier du souverain. Le changement du titre du souverain s'insère dès lors, dans la logique du projet révolutionnaire de changement de régime. C'est une motivation stratégique, qui explique la rupture de la continuité traditionnelle, à laquelle met fin le «Coup de force.»
Cette rupture peut être d'ordre dynastique: Mérovingiens, Carolingiens et Capétiens ne portant pas le même titre. Elle marque aussi un changement des principes de fonctionnement de l'État. On trouve autant d'exemples de ces changements radicaux dans les passages du «rex Francorum» au «Francorum rex», du «roy de France» au «roy des François» pour finir au dernier «roi des Français» de 1830.
Pour répondre à notre question de départ, nous avons formulé l'hypothèse que l'apparition du titre «roy de France (et de Navarre)» date symboliquement du 24 avril 1617, jour où Louis XIII a mené à bien son «Coup de Majesté», et a initié son projet politique révolutionnaire. En faisant assassiner le conseiller Concini et exiler la régente à Blois, le jeune roi a été perçu comme le héros libérant son pays de la tyrannie de l'Étranger. En cherchant à abolir les injustices et les disparités locales du féodalisme, il allait plus tard gagner le surnom de «Juste.»
Ce jour-là, Louis XIII posait la première pierre de la fondation d'un nouvel État-nation, qui lui survit encore aujourd'hui.
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Notes de bas de page :
1Nicolas Sarkozy - septembre 2016 - https://twitter.com/nicolassarkozy/status/1390335709890875397 [consulté le 18.8.24]
2«La connaissance commune ne peut plus être dans l'état présent du savoir scientifique, qu'un donné pédagogique pour une mise en train, pour un amorçage» (BACHELARD. 1951:3)
3-https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France [consulté le 6.1.25]
4-https://www.maxisciences.com/histoire/qui-fut-le-premier-roi-de-france_art50967.html [consulté le 22/05/25]
5-https://fr.wikipedia.org/wiki/Roi_des_Fran%C3%A7ais [consulté le 31.8.24]
6-Grégoire de Tours, Histoire des Francs (livre II – [an 507]), Guizot éd. 1824. Disponible en ligne . https://remacle.org/bloodwolf/historiens/gregoire/francs2.htm – [consulté le 30.6.25 ]
7- «Stricte vcro regnum Francorum accipitur quando sola Gallia Belgica regnum Francorum vocatur, que est infra Renum, Mosam et Ligerim coarlata, quam Galliam appropriato vocabulo, moderni Franciam vocant. Modo vero, propter insolentiam regum Francorum, nec tamen terram istam quam Franciam vocant juribus suis in integrum habere merentur.»
8- https://fr.wikipedia.org/wiki/Royaumes_francs – [consulté le 2.2.25]
9- http://www.sigilla.org/sceau-type/robert-ii-pieux-premier-sceau-30422 [consulté le 2.9.24] "Roi de France" dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/204297). [Consulté le 02/02/2025.]
10- "Roi des Francs" dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/203284). [Consulté le 03/02/2025.]
11- "Roi de France" dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/204297). [Consulté le 03/05/2025.]
12- https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France [consulté le 31.8.24].
13 «the first written constitution of the Capetian monarchy.» (BALDWIN. 2010:96)
14- https://en.wikipedia.org/wiki/Style_of_the_French_sovereign
15- Rigord. Gesta Philippi Augusti : 1, cité par DELABORVE. 1882 : 96
16- https://en.wikipedia.org/wiki/Kingdom_of_France [consulté le 31.8.24]
17- https://fr.wikipedia.org/wiki/Discussion:Philippe_II_Auguste/Archives_1 [consulté le 17.6.25]
18- Op. Cit. - on peut noter l'antéposition inhabituelle du «Franciae rex»
19- Op.Cit.
20- https://www.caminteresse.fr/histoire/depuis-quand-notre-pays-sappelle-t-il-la-france-108800/ [consulté le 31.8.24]
21Depuis François Eudes de Mézeray (1673), les spécialistes manifestent une certaine «désinvolture» dans l'usage des catégories de la souveraineté. J. Le Goff (LE GOFF.1977:308) résume une nouvelle en latin rédigée entre 1185 - 1193 par le moine Walter Map de la cour du Roi d'Angleterre. Le manuscrit raconte l'histoire du héros Henno, qui porte secours à «une jeune fille rescapée d'un naufrage d'un navire qui la conduisait vers le Roi de France qu'elle devait épouser.» Si l'original contenait effectivement le «rex Franciae», son authenticité serait douteuse. Du moins, la transcription en français montre un usage non problématisé de la catégorie, un usage «désinvolte» qui ne respecte pas l'expression originale (regi Francorum) de l'édition de 1914 citée par J. Le Goff.
22On observe la même variété sur le monétaire.
23http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_II_de_France [consulté le 31.8.24]
24Domuique Austriacae obstricti fueranl, eosque ad subjeclionem, obedientiam et fidelitatem Régi Regnoque Galliae praestandam remittunt, obligantque.
25Disponible sur le site de François R. Velde https://www.heraldica.org/topics/france/frroyal.htm [consulté le 21.6.25]
26«On connaît en effet l'exigence positiviste de Heisenberg qui veut que toutes les notions employées aient un sens expérimental» (Gaston Bachelard.1934:48)
27Colette Beaune, Naissance de la nation France, Paris, éd. Gallimard, coll. «Folio Histoire», 1985, 574 p. (ISBN 2-07-032808-2), p. 419. cité par https://fr.wikipedia.org/wiki/Francie#cite_ref-Naissance_de_la_nation_France_43-2 [consulté le 18.11.24]
28Jean-Paul Meyer, Les Fils de L'An 2000 Essai [archive], 1998, p. 61 cité par https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France#Titres_officiels [consulté le 22.6.25]
29 http://www.sigilla.org/sceau-type/philippe-ii-auguste-deuxieme-grand-sceau-21788
30Geneviève Bührer-Thierry et Charles Mériaux. La France avant la France (481-888), éd. Belin, 2010, p. 68. cité par Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Child%C3%A9ric_Ier#cite_note-52 [consulté le 24.6.2025]
31Édit. B. Krusch, dans Monumenta Germanica Historiae, Scriptores rerum merovingicarum, 1888, t. 2, p. 257. in http://www.sigilla.org/sceau-type/clovis-ier-sceau-29347 [consulté le 17.01.25]
32La version traduite et numérisée par Marc Szwajcer est consultable en ligne sur le site de Philippe Remacle: https://remacle.org/bloodwolf/historiens/marius/chroniques.htm [consulté le 17.01.25]
33(DOUËT D'ARCQ.1863 :267) cité par la base Sigilla (permalink: https://sigilla.irht.cnrs.fr/115455). [Consulté le 30/01/2025.]
34On trouve une forme semblable pour le Carolingien, roi de Lorraine : Zventeboldus Rex (987) qui reste une forme unique dans notre tableau.
35"Sigebert III - sceau" dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/5152). [Consulté le 09/07/2025.]
36"Hugues Capet - sceau" dans la base Sigilla (permalink: https://sigilla.irht.cnrs.fr/65). [Consulté le 30/01/2025].
37 Tractatum de Pace cum Consanguineo nostro Franciae habere (RYMER. 1739,t2p3 :200)
38Nosque ab earum observatione liberos & exutos , ut cum pace & reverentia Sanctitatis vestrae loquamur, Praefatum Philippum , ut Violatorem dictarum Treugarum, ac Inimicum & Persecutorem nostrum Capitalem , & Regni nostri Franciae Occupatorem Injustum , & aliorum Jurium nostrorum(RYMER. 1739,t2p4:176)
39Weir, Alison (1996). Britain's Royal Families: The Complete Genealogy (Revised ed.). London: Random House. ISBN 0-7126-7448-9. - cité par Wikipédia, article George III [112] - https://en.wikipedia.org/wiki/George_III#cite_note-weir286-118 – [consulté le 28/5/25]
40Juliet Barker (2 September 2010). Agincourt: The King, the Campaign, the Battle. Little, Brown Book Group. p. 24. ISBN 978-0-7481-2219-6. - cité par Wikipédia, article Dieu et mon droit [4] -https://en.wikipedia.org/wiki/Dieu_et_mon_droit#cite_note-Barker2010-4 - [consulté le 29/05/2025]
41https://en.wiktionary.org/wiki/Reconstruction:Proto-Germanic/Þeudōrīks
42En tête du chapitre qu'il consacre au premier Thierry, Mézeray (MEZERAY.1643: 104), traduit le titre du «THEVDERICUS Francorum rex (sic.!)» par «THEODORIC I Roy de France.» Le nom du second Thierry, dont l'orthographe latine varie: «THEODORICUS Francorum rex (sic.!)», n'est traduit que par «THIERRY II Roy de France» (MEZERAY.1643: 124), et ne se confond plus avec «THEODORIC, Roy des Goths.»(MEZERAY.1643: 142)
43« KAROLUS IMP AVG » (LAFAURIE.1978:160)
44 Acte daté de Paris du 10 juillet 1328 in CHARON.2019: note en bas de page 13.
45Le renouvellement de l'orthographe et l'abandon du [K] au profit du [C] date de Charles IX (CAROLUS NONUS + 1574 – cependant on trouvait déjà l'usage du [C] chez certains Carolingiens, Charlemagne notamment), l'usage du [U] différent du [V] apparaissait déjà dans le le nom de Philippe IV (PHILIPPUS DEI GRATIA FRANCORVM REX -1286)
46Mercure François. Tome 1, 1605-1610. P.417, disponible sur le site de l'école des hautes études en sciences sociales : http://mercurefrancois.ehess.fr/picture.php?/1821/category/31
47«Ainsi doit-on comprendre l'exclamation d'usage à la mort d'un roi, «Le roi est mort, vive le roi !»: si le roi meurt en effet en tant qu'homme-roi, la royauté quant à elle ne meurt jamais, et passe immédiatement dans le corps de son successeur dynastique.» (QUALIGLIA.2014:61)
48Victor-Lucien Tapié, La France de Louis XIII et de Richelieu (1952). Le principe d'instantanéité de la succession est consacré par deux ordonnances de Charles VI, en 1403 et 1407. (HOARAU.2017: note 4 en bas de page)
49Par une étrange ironie, le dernier Bourbon prendra aussi le titre de Charles X et sera détrôné par une révolution populaire en 1830
50Histoire politique et sociale, histoire constitutionnelle.
51Sigilla.org propose la date de 1613, mais base son estimation sur l'étude d'une empreinte de sceau « anépigraphique »: "Louis XIII de France - Cem - Am Dijon - Trésor G liasse 15 c. 19" dans la base Sigilla - (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/150133). Consultation du 10/07/2025.
52Le roi qu'il a été entretient un lien d'opposition (mais) avec le roi qu'il est et qu'il sera
53François Eudes Mézeray voit en Louis XIII le « très puissant libérateur des opprimés qui a pris les armes pour dégager la liberté de l'Europe. » (MEZERAY.1643, Dédicace)
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BIBLIOGRAPHIE
https://www.fr-tul.cz/clanky/recherches---publications/rex-bibliographie.html
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Idéologie et a priori de la perception !
L'exemple de Sigilla.org et de sa non perception du premier roy de France.