Dans le chaudron des Sudètes
Correspondance entre Pierre Chalopin de Nantes et Maria Dukatova de Jablonne pod Jestedi - 1945/1946
La première partie de la transcription est un compte-rendu de la correspondance, ce format m'a permis de contourner l'obstacle du déchiffrement de l'écriture. Pierre Chalopin est désigné comme "le narrateur" et Maria Dukatova comme "sa correspondante". Mais en m'habituant au fur et à mesure de la lecture, il est devenue possible de lire la correspondance sans difficulté et j'ai donc transcrit entièrement la seconde partie.
***
René Chalopin a été prisonnier de guerre dans la région, travaillant dans une usine. Etait-il hébergé chez Maria Dukatova? Rien ne l'indique dans la correspondance mais, il l'a remercie pour son aide et affirme souhaiter tout faire pour aider Maria en Retour :

Lettre 1 /
Nantes 15 janvier 1945
Bien chère amie,
le narrateur annonce avoir bien reçu une lettre et la rassuré sur la santé de sa correspondante. Le narrateur était aussi inquiet de savoir si « les papiers » étaient bien arrivés à temps car c'est le consulat tchèque de Paris qui était chargés de les faire parvenir, et content d'apprendre que ces papiers ont été utiles.
Le narrateur informe sa correspondante que les remerciements sont inutiles, car tout le monde aurait fait la même chose dans cette situation puisque le narrateur et le correspondant entretiennent un lien d'amitié.
Le narrateur prévient sa correspondante qu'il n'y a hélas pas que de braves gens sur terre, et que la libération a fourni un prétexte à de nombreuses fripouilles à se livrer à leurs plus bas instincts. Il en va de même chez le narrateur, où les tribunaux militaires condamnent en ce moment de nombreux faux patriotes qui ne sont en réalité que d'authentiques bandits.

Lettre 2 /
Nantes 23 janvier
Le narrateur reprend sa lettre interrompue car il est parti brusquement en voyage. Il voudrait se renseigner sur la situation en Č.S.R. Il demande à sa correspondante si le pays est occupé par les Russes ou (?) s'il est libre. Le narrateur demande qu'elle est la situation économique et alimentaire et qu'elle attitude est adoptée du point de vue des Allemands des Sudètes.
Le narrateur s'intéresse à toutes ces questions car il connait et s'intéresse au pays de sa correspondante, de plus il a repris ses études interrompues par la déportation. Le narrateur serait heureux que sa correspondante l'aide à trouver un.e étudiant.e parlant français ou au moins allemand. Le narrateur pense que leur aimable traducteur pour trouver cela.
Le narrateur voulait envoyer à sa correspondante un cadeau du nouvel an pour entretenir leur amitié, mais les droits de douane, qui avaient considérablement augmenté depuis la dévaluation du franc, l'en ont dissuadé. Le narrateur préfère attendre de meilleures conditions. Si la situation le permet, le narrateur compte aussi faire un voyage en Č.S.R. l'été qui vient et espère avoir l'occasion de visiter enfin Prague.
Le narrateur demande à sa correspondante si elle sait que de Gaulle a démissionné, mais qu'aucun gouvernement ne pourrait faire face à une situation qui empire chaque jour, car les grands Alliés « nous » ont laissé carrément tomber, sous prétexte que « nous » ne voulons pas leur vendre nos ports et nos colonies, mais, si malheureux que « nous » soyons nous tiendrons le coup, et nous nous relèverons sans l'aide de personne.
Le narrateur incite sa correspondante à ne pas hésiter, en cas de besoin, à solliciter son aide, ou celle de ses parents, et qu'il fera l'impossible pour lui faire plaisir.
Les parents du narrateur se joignent à lui pour dire à la correspondante combien il la remercient pour tout ce qu'elle a fait pour le narrateur et aussi combien ils plaignent la correspondante.
Le narrateur envoie ses meilleurs vœux d'amitiés et de sympathie.
Signature.

Lettre 3/ Nantes 1er avril 1946
Bien chère amie
Le narrateur informe sa correspondante qu'il a reçu ses deux dernières lettres en même temps, et l'a remercie pour les cartes des cartes postales de Prague. Il suppose que la première lettre est arrivée en retard car on a confondu les adresses à Nantes avec Mantes, dans le nord de la France. D'autre part il rentre d'un voyage de 15 jours en Bretagne et n'a eu connaissance de la la lettre que le matin même.
« Pour ce que vous me demander au sujet de ce jeune homme, je me suis renseigné, mais j'ai le regret de vous dire que c'est absolument impossible, vous allez comprendre pourquoi. D'abord ce prisonnier est dans un camp américain en France, et comme tel, dépend uniquement de l'armée américaine donc il ne peut avoir aucune relation avec des civils ou des militaires français ou alors il faudrait écrire au War Departement U.S.A. : Washington.
D'autre part il y a en ce moment beaucoup trop d'évasions de prisonniers de guerre allemands, qui sont en relation avec les anciennes organisations nazies en France et je pourrais m'exposer à des tas de désagréments. Toutefois je pense que si vous adressiez une requête spéciale à la Croix-Rouge à Genève, vous pourriez peut être avoir une chance. Maintenant j'ai examiné votre situation, et j'ai demandé conseil à des avocats qui m'ont dit qu'il faudrait que vous me précisiez en quoi et dans quelle mesure je pourrais vous être utile, car je suis tout prêt à vous aider, et mes camarades aussi soyez en certaine, mais encore faut-il que vous m'indiquiez comment. N'hésitez pas à me demander, si je peux vous rendre service, je le ferai sans hésitation.
Je vais me renseigner si je peux vous envoyer un colis alimentaire, j'estime qu'il est de mon devoir de vous aider, au moins comme vous l'avez fait pour moi.
En ce moment en France nous manquons presque de pain, mais nous avons des légumes et du poisson à profusion, ainsi que des œufs. Le temps est magnifique, on se croirait en été et ce samedi j'ai recommencé à faire du camping. Je n'ai pas eu le temps de vous faire une leçon français-allemand mais je vous le promet pour une prochaine lettre.
Paragraphe en allemand.
Signature

Lettre 4 / Nantes 20 avril 1946
Très chère amie.
J'ai reçu hier au soir votre lettre qui m'a fait bien plaisir surtout son annexe où vous me disiez avoir enfin obtenu la nationalité tchécoslovaque ce qui vous permettra, je l'espère, une atténuation de vos soucis actuels. Il y avait bien longtemps que je n'avais pas eu de vos nouvelles, et je commençais à m'inquiéter, et à croire que vous étiez retournée en prison, nous m'aviez en effet annoncé que nous devriez comparaitre devant un tribunal d'honneur. S'il vous arrivait encore des ennuis, vous n'avez qu'à menacer le tribunal d'une protestation de notre part, par la voie de l'ambassade de France à Prague. D'autre part, si on vous pose des questions sur votre activité pendant l'occupation boche, nous somme tous prêts à répondre l'exacte vérité qui est toute à votre honneur d'ailleurs ; donc ne vous inquiétez pas.
En cette veille de Pâques, je me souviens de ces mêmes fêtes de Pâques d'il y a un an, sur la terre d'exil où nous avait déporté l'infâme volonté d'un tyran, doublé d'un fou : Hitler !
Vous rappelez-vous nos espoirs et aussi un peu nos inquiétudes, quand tonnait le canon, quand passaient ces avions, qui s'ils semaient la mort, étaient aussi les avants-coureurs de la Liberté, cette Liberté que nous réclamions tous, que nous avions si chèrement acquise et pour laquelle sont tombés tant de nos frères ; combien d'illusions sont tombées depuis !!!
Mais voyez-vous, il faut avoir confiance et ne jamais se décourager, nous avons tenu six ans sous la botte ennemie, aujourd'hui nous sommes chez nous, et malgré toutes les difficultés, je suis sûr que nous sortirons vainqueurs de cette lutte dernière.
Je vois que chez vous, le ravitaillement ne vas vraiment pas fort, mais il faut vous consoler, car si nous avons poissons, légumes et maintenant œufs à volonté, le pain diminue dans des proportions inquiétantes, et nous touchons de la viande de conserve une semaine sur deux ; par contre la charcuterie est en vente libre (pur porc). Le beurre est également assez rare, mais nous touchons en compensation de l'huile et du saindoux.
Je suis navré de la triste situation de la vieille Madame Bauers, les vieux ne sont pas responsables des errements des jeunes mais ne peut-on rien faire par la Croix-Rouge ?
Si Rosa est toujours aussi grosse, c'est qu'elle n'est pas trop malheureuse, le bonjour de ma part. J'ai perdu l'adresse de Walli et de son père, mais présentez leur mes amitiés de ma part, car je les estimait beaucoup, Buffalo était en effet le seul Allemand de l'usine qui fût juste et bon à notre égard, et ce n'était pas un nazi, un mot de lui me ferait plaisir.
Pourriez-vous me dire ce qui est devenue Any Steuibel qui habitait 203 Niemes St. ?
Je m'en vais cet après-midi passer « quelques » jours de congés au bord de la mer, il fait un temps magnifique je vous enverrai des photographies que j'aurai prises. Je joins à ma lettre une photo de moi qui, je l'espère, vous ferra plaisir, vous pourrez constater que ne me porte pas trop mal, elle a été prise il y a quinze jours.
Conservez soigneusement le timbre qui est sur l'enveloppe, car il est très rare et vient d'être émis à la gloire des Forces Maritimes Françaises Libres.
J'espère avoir bien la joie de vous lire, et que vos nouvelles seront de plus en plus bonnes, et mes parent se joignent à moi pour vous envoyer toutes mes amitiés.
Signature

