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Anagore

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Journal de Joseph, jour 1  :

 

De longs mois se sont écoulés depuis mon arrivée sur Anagore.

 

Tout se déroulait normalement, les projets aboutissaient à des formes très acceptables, de nouvelles perspectives s’ouvraient, mon installation se passait pour le mieux…j’avais l’impression de garder le contrôle sur cet univers qui déroulait son étendue.

 

Comment en suis-je arrivé à ne plus savoir comment me dépêtrer de cet sentiment poisseux et répugnant? J’ai l’impression d’avoir été violé. Chaque fois que je repense à cette histoire, la salissure de l'humiliation ressurgit. Je me suis laissé traîner dans la boue du mensonge si longtemps, sans même que le moindre doute ne vienne jamais m’effleurer.

 

Il aurait pourtant suffit de lever le voile, d’ouvrir enfin les yeux pour découvrir la partie cachée de ce personnage qui se pavanait devant moi il y a encore quelques instants. Je ne lui ai encore rien avoué. Ma décision est prise. Je finirai par le tuer.

Tant pis pour nous tous...

 

I

 

Une violente décharge électrique arrache brutalement Joseph de son sommeil. Encore dans le noir, il discerne une série de sonneries stridentes et ressent une espèce d’angoisse lui peser sur la poitrine, sa respiration en devenant d'autant plus laborieuse. Il finit par comprendre qu’il suffit d’ouvrir les yeux et d'éteindre la sonnerie de son réveil pour que tout redevienne calme et tranquille. Il sait qu’en soulevant les paupières, il découvrira le confort douillet de sa chambre chauffée alors que les vastes plaines gelées s’étendront à l’infini derrière le hublot hermétique à peine éclairé par le soleil levant. A contre-coeur, il ouvre donc subitement les yeux. Alors…

pour la première fois…

                           il découvre l’existence…

                                                      de l’autre monde

 

II

  • « Ça m’est arrivé hier soir. Ch’crois ksé à cause de la beu, pt’être ke je devrais ralentir ou stopper carrément, non ? »

  • « Bon, ça peut pas faire de mal de lever le pied… »

  • « Un copain m’a dit que lui aussi y connaît ça, exactement comme nous. D’abord il s’évanouit, pis il rouvre les yeux et il s’y voit, là, allongé sur le sol, avec ces potes autour de lui en train de le gifler pour ki s’réveille. Pis toi, tu te demandes ske tu fiches avec les yeux accrochés au plafond, comme un p’tit écureuil k’aurait bondi pour échapper à un chien enragé. Tu trembles comme une vieille feuille tellement que tu veux pas y retourner dans c’te réalité d’en bas…et pis t’as peur, t’es terrorisé par ski t’arrive... »

  • « Hm hm...comme si un autre toi étais ailleurs… »

  • « Ouais, t’en profites d’être au calme, tu contemples une p’tite seconde tout ce foutoir. Mais y a rien à faire, la seconde d’après tu y retournes. J’en suis encore vert. J’y comprends rien. En plus j’ai trop la dent, c’est pour ça ke j’arrive pas à réfléchir le ventre vide. Ch’file au Resto-Tesko. »

Joseph lui lance un dernier t’inquiète-pas- trop- va suivi d’un massif bon appétit. Kiry, un marlou élancé et musclé de jeunesse, se retourne souplement pour le remercier, mais la grimace qu’il affiche ne parvient guère à effacer son air inquiet.

Joseph regrette un court instant de n’avoir su le réconforter. Mais poussé par la faim, Kiry s’éloigne rapidement. Son blouson vert disparaît déjà dans la soupe orange des néons baignant les allées rectilignes de la cité minière Eden 66. Joseph aurait aimé qu’ils trouvent un peu de temps afin de partager davantage leur expérience qui les angoissait tant. Il se rassure un peu à l’idée de ce semblant de sourire qu’il a pu arracher à Kiry.

Dès que s’offre une occasion, il s’efforce toujours de se montrer amical et poli afin d’engager et de faire durer la conversation le plus longtemps possible. Seulement, sa maîtrise imparfaite du dialecte local et son vocabulaire encore trop limité lui interdisent parfois de formuler pertinemment un mot gentil qui se dissipe alors entre ses lèvres maladroites. S’il ne parvient pas toujours à le prouver, il sait qu’il doit se comporter en bon samaritain et rester avenant et agréable en toutes circonstances. Son directeur de mission avait encore insisté sur ce point lors de leur dernière communication sur le réseau Millikan. Joseph croyait encore que son département l’avait envoyé sur Eden pou y mener une étude linguistique sur la formation des dialectes locaux…

 

III

 

Pour fêter Noël,

l’Administrateur Général,

vous prie d’assister à la réception organisée à cette occasion.

Joseph serre d’une main tremblante l’hologramme d’invitation. Il hésite un court instant à franchir le vestibule menant au grand salon de réception. Pourtant il s’avance, tel une phalène, ébloui à la fois par la pluie de lumière qu’aspergent des lustres de cristal recomposé et par cette atmosphère de paillettes et de champagne. Il contemple émerveillé les rutilances des grappes de la foule et leurs reflets colorés sur le parquet verni. Rapidement, il reprend de l’assurance car son attention se fixe sur le seul invité qu’il connaisse. Monsieur Adamov, l’imposant directeur du service technique de la Compagnie Martienne de Commerce, trône au centre de la salle de réception.

Lors de son embauche dans l’équipe de contrôle des expéditions, Joseph fut reçu au centre administratif d’Eden 1 par Monsieur Adamov en personne. Le directeur du service technique prétendait se réjouir d’accueillir un humain de plus dans son équipe, l’activité économique n’est-ce pas, dans ces confins de la Confédération n’est-ce pas, n’est pleinement conquérante que si elle draine n’est-ce pas, si elle draine vers elle les forces vives de l’élite des régions n’est-ce pas, historiques.

Joseph ne saisit pas pleinement cette métaphore. Mais tout était dans l’ordre des choses. Monsieur Adamov symbolise à lui seul le fabuleux savoir académique de la civilisation terrienne historique dont la Compagnie Martienne de Commerce se fait fort d’être le fer de lance. En somme, il connaît beaucoup de mots. Il en avait agencés quelques uns dans un contrat. S’il avait gardé quelques idées claires et distinctes, Joseph se serait sûrement empêtré du respect imposé par les diplômes encadrés fleurissant sur les murs pourpres du vaste bureau. Mais il ne les vit pas. Il fixait un peu hébété la feuille que lui tendait docilement le robot KD. Il signa et prit conscience de la servile obéissance dont il ferait preuve à son supérieur. En retour, ce dernier le paierait d’une inflexible et bienveillante protection.

Il se rappelle maintenant la douce vibration du cercle de l’appartenance qui le parcouru quand il reposa le stylo à injection. La même sensation l’affleure en observant l’auguste directeur bombant le torse dans son habit de soirée, le poitrail enluminé d’une médaille mauve — Monsieur Adamov mérite des hauts services rendus à la Compagnie —. Son regard implacable survole l’assemblée. Joseph imagine le capitaine du Potemkine scrutant le chemin de l’héroïsme à travers les flots de la mer Noire. Soudain, se lève un vent de panique. La foule frissonne. Un murmure annonce l’apparition de l’Administrateur Général. L’événement n’échappe pas au regard d’aigle d’Adamov. Il se précipite agilement. Son réflexe énergique et précis force l’admiration. Son pas décidé et alerte fend la foule avant qu’elle ne s’agglutine et encombre le libre passage vers le triomphe attendu. Etoile olympique du sprint court, le fulgurant directeur du service technique les devance tous. Il est le premier et le plus émérite des serviteurs à présenter obséquieusement ses hommages administratifs. Joseph entend retentir L’hymne à la joie. Il savoure enfin le privilège suprême d’appartenir au groupe fermé des conquérants, des exportateurs du génie de la civilisation des régions historiques.

Joseph, l’un des rares cadres humains de la Compagnie baragouinant le pidgin édénique, vient de comprendre une partie de la métaphore. Il ne remettra jamais les pieds aux cocktails de la Compagnie.

Au contraire des courbettes d’Adamov, Joseph ressent vibrer chaudement la sympathie du bon appétit adressé à Kiry. Fier comme un coq en pâte, il se dandine vers les rues sombres de sa périphérie à l’est de la cité : « Maman sera fière de moi, j’ai su dire une gentillesse à un congénère. »

IV

L’icône d’Igor flamboie,

son auréole est une invite.

Joseph ouvre la porte

vers la lumière.

V

Arraché,

de sa rêverie, on lui adresse la parole. A l’autre bout de la table, juste à côté de la machine à sous, de longs cheveux décolorés surplombent un visage jaunissant. Plus bas, les vêtements mélangent les tons verts et bleus. Cette composition glauque pourrait être la Faye Dunaway de Barfly, un autre de ces films pré-innsbruckiens qu’avait visionné Joseph. L’instant d’avant, elle appuyait, en suivant un rythme approximatif, ces doigts lents sur les touches colorées du bandit manchot électronique. Assise maintenant à sa table, elle le dévisage.

  • « Vous venez de quel Eden ? » S’enquiert-elle.

  • « Non – Rétorque-t-il flatté - Je viens de la Terre. »

Elle marmonne, elle invective et ronchonne de plus belle avant de se lever. Elle n’y croit pas la pauvre. Elle retourne se soulager de sa trop maigre retraite vers son jeu abrutissant. Joseph s’attriste, elle refuse de lui parler d’avantage. Mais par un obscur principe il lui donne raison. Il se doute en somme que la sensation n’est qu’une porte à ouvrir raisonnablement. Ce qu’on découvre, en y jetant un œil par l’embrasure, déroute souvent les esprits les plus avertis. Ainsi, il y en a un instant, quand Joseph aperçut la porte de la taverne habituelle devant laquelle il rencontre Igor, il vit en elle, comme toujours, un signe réconfortant de bienvenue. Il reconnut la magie rimbaldienne des haillons d’argent filant par les interstices du sas de régulation thermique. La porte tant attendue éveilla en lui un gai sentiment tout comme un gosier, trop sec d’une traversée du désert, s’enhardit à l’idée de saisir les premières gouttes de l’humide mousse du soulagement. Joseph la franchira promptement pour échapper à la nuit de l’hiver de cette contrée nordique d’Anagore, et, exactement comme il le prévoyait, la porte coulissera pour mieux les happer vers le clair brouillard de tabac. À cette seconde quand sa main percute mollement l’ouverture pneumatique, la gorge de Joseph est aux aguets, tapie dans l’attente d’être goulue. Elle se gonflera bientôt des molécules brillantes de la vie pétillante.

Pourtant la réalité ne se plie pas si facilement aux habitudes anticipatives de l’imagination assoiffée. Dans un premier temps apparaît toujours le boucan hétéroclite de l’émerveillement, et là-dedans, à force de persévérance, il faudra bien se tailler une place.

Une estrade surélève l’arrière fond de la salle d’un demi-mètre. À gauche, un piano castré s’accole à un mur blanchi de chaux. Trois tables de six buveurs encombrent le petit espace délimité par une fragile rembarde. D’autres tables, toutes occupées bien que plus grandes, s’étalent sur la gauche du premier plan. Sur le flanc droit, le court comptoir se taille la place d’honneur. Les bocks s’entassent sur la paillasse de zinc. La bière coule d’un flot ininterrompu. Dépité par l’encombrement des lieux, Joseph pense à la seconde salle moins fréquentée. Les relents, des cuisines au fond à gauche ou des latrines sur la droite, constituent sans doute de puissants répulsifs. Seuls les drogués aux jeux de hasard se risquent dans les environs. Alors malgré les odeurs, son gosier se tourne tout de même vers sa droite entrainant le reste de la tête dans sa recherche frénétique de deux places assises. C’est alors qu’un regard illuminé et joyeux croise le sien. Quelqu’un se tient debout au fond de la seconde salle et lui offre un sourire chaleureux surligné d’une moustache broussailleuse. Sous la chevelure abondante et sombre qui tombe jusqu’aux épaules, Joseph reconnait…le visage…de…Franck Zappa.

Depuis qu’il a joui de ses accords virtuoses, Joseph a toujours cru à l’existence du guitariste. Il prit pour argent comptant la photographie sur la pochette d’un disque qu’on lui avait présentée pendant un cours d’archéologie musicale. Il sait aussi qu’un ingénieur nostalgique pourrait concevoir un KD à son image…mais…pourquoi le robot du grand Santana, sommet d’une technologie hors de prix, pataugerait-il entre le chevron et la friture d’huile de synthèse…dans un boui-boui de seconde zone…du quartier 23…d’Eden 66 ?

Joseph n’adhère plus à l’illusion du réel. Avant même de remarquer qu’il manque au moins une vingtaine de centimètres à la star pop et que son sourire reste figé dans des teintes entre le noir et le blanc, avant de comprendre que cette image n’est qu’un carton idiot et barbouillé, bêtement immobile, intuitivement il n’y croyait déjà plus.

  • « Sacré belle invention que la peinture à l’huile.» fait-il remarquer à Igor.

  • « Ah ouais, on finirait par croire à ce qu’on voit. »

Franck Zappa, les lumières clignotantes du bandit manchot, les doigts rongés de la Faye Dunaway bougonne. Quelque chose a franchi les barrières de l’invraisemblance. Et Igor d’éclater de rire.

VI

Après l’invention des robots KD il y a une centaine d’années, l’émigration de peuplement vers Anagore, s’interrompit brusquement. Les cadres de la Compagnie Martienne de Commerce restent les seuls Terriens qui visitent encore ces lointaines colonies minières. Or les éminents membres de l’administration ne parlent pas la même langue que les Edéniens. Ils en baragouinent bien quelques mots quand ils s’adressent à leurs larbins mais pas suffisamment pour soutenir une conversation. Faye a vaguement tendu l’oreille dès qu’elle perçu Joseph parler son étrange charabia avec Igor. Il vient très certainement d’une autre cité édénique. Comment pourrait-elle savoir qu’il a étudié les sabirs d’Anagore dans un institut terrien des langues extra-terrestres ?

Joseph souhaiterait le lui expliquer, mais les mots se bousculent en désordre, une crispation de la mâchoire l’empêche de rien articuler.

  • « Si c’est pas malheureux de raconter de telles blagues aux gens. » soupire-t-elle.

A côté du faux Santana, quelque chose clignote, ça siffle, elle accourt. À ça-là, elle y croit, à sa petite chance de gagner, elle y croit à sa carotte qui lui ferait oublié le bâton, au miel qui la soulagerait enfin du fouet, elle y croit.

VII

La moustache brune et gominée pénètre à la drue le rose duvet des lèvres d’Eva. Bien sûr qu’elle dit oui ! Elle épousera son destin de femme fidèle. Elle reste convaincue que l’homme qui l’embrasse n’incarne rien d’autre que la sincérité et l’amour. Même dans un bunker du Berlin assourdi par les orgues de Staline, les gens y croient encore. Adi, mon amour, je te veux, à la vie à la mort. À la vie, à la mort. Il suffit d’y croire au baiser de Judas.

VIII

Innsbruck, 1997.

Des universitaires distingués choisirent cette date du continuum historique comme marque prophétique de la nouvelle ère cosmique. En effet, dans un laboratoire de cette université de la pointe occidentale du continent asiatique, on avait à l’époque réussi la première téléportation d’un photon.

On pouvait en théorie téléporter n’importe quoi grâce au seul principe paradoxal des effets corrélés qu’Einstein, Podolsky et Rosen mirent en évidence en 1935. Seuls des impératifs financiers limitèrent un temps l’usage de cette nouvelle technique de transport instantané de l’information. Elle permettait de rapides voyages interplanétaires sous le prétexte que du point de vue moléculaire, les individus se résument en une vaste somme d’informations électroniques. Encodables au point de départ, elles parcouraient ensuite d’immenses espaces entre deux bornes de transmission jumelées.

Dès 2021, la Compagnie Martienne de Commerce fut la première puissance industrielle à envoyer vers Mars un vaisseau entièrement automatisé muni d’une borne de téléportation. Une équipe d’ingénieurs y avait été ensuite expédiée pour fonder les infrastructures de la cité extra-terrestre Mars 1. A peine, les centres de téléportation massive activés, les premiers colons débarquaient par centaines chaque jour. La Compagnie promettait aux miséreux les joies paradisiaques de la vie martienne. La plus part d’entre eux s’embauchaient comme mineurs ou dockers. Mais la Compagnie ambitionnait d’élaborer une cité autonome, ainsi tous les secteurs d’activités se développaient tant bien que mal.

Pourtant une vingtaine d’années plus tard, les géoastronomes de la Compagnie découvrirent Anagore, petite planète au sous-sol généreux et à l’atmosphère respirable. Ce dernier détail se révéla d’une importance capitale. Il devint possible d’économiser la construction et l’entretien du dôme qui recouvrait la cité martienne et qui en limitait du même coup l’expansion. Très logiquement, la Compagnie délocalisa sa production et ses travailleurs par la même occasion.

La conquête d’Anagore commençait. Elle s’appuya avant tout sur les innombrables vidéos des rues de la cité martienne vantant abondamment les mérites inestimables de la nouvelle planète tout en mettant en avant les dangers imminents que faisaient planer les visées coloniales d’un Empire de Septa minor trop proche. On ne trouva aucun Martien pour refuser de s’établir sur Anagore, la nouvelle terre promise, la planète aux mille Edens.

Pendant tout un siècle, les nouveaux centres de téléportation massive déversèrent encore leurs lots hagards de pionniers terriens qui venaient gonffler les rangs des descendants des premiers Martiens. Aveuglés par le miroir aux alouettes, ils se retrouvaient piégés, à l’autre bout de la galaxie, sur une planète insigne au climat infecte. Heureusement, leur sacrifice ne fut pas vain, lors de l’industrialisation du robot KD, la Compagnie Martienne de Commerce, aux ressources minières illimitées, avaient déjà eu raison de ses concurrents terriens.

IX

A peine sorti de l'ombre, le flot de lumière m'aveugle.

On nous a brutalement tirés de la cellule. En clignant des yeux, je distingue la créature gastéropoïde brune. Au bout d'un tentacule artificiel, elle pointe son arme, une sorte de fusil mitrailleur argenté orné de rubans colorés, elle menace clairement d'ouvrir le feu et de nous assassiner.

Je suis impuissant, les mains liées dans le dos. J'imaginais être un simple prisonnier en attente de son transfert. Je suis devenu l'otage d'un conflit lointain qui me reste encore incompréhensible. Je sens mes jambes flageoler un instant avant de me regonfler de stress et d'adrénaline.

Mon regard s'active désespérément à la recherche d'une issue et j'aperçois mon codétenu à mes côtés. Plus petit, plus maigre, il semble plus atteint par l'enfermement. On a dû le droguer, il reste amorphe, la tête penchée vers l'avant, comme après une crise d'étouffement, les yeux révulsés. J'ai juste le temps de me résigner et de comprendre que je ne pourrai rien faire pour l'aider.

Je m'habitue encore à la lumière quand j'entends derrière moi le grondement d'une eau sauvage qui roule des montagnes en direction de la plaine. Je comprends que nous surplombons le terrible torrent que je connais déjà. Je sais que personne n'activera de champ antigravitationnel, aucun fuseau de téléportation ne viendra m'envelopper, il n'y aura pas de bouclier à pulsions pour amortir ma chute, pourtant, j'ai juste le temps de me jeter en arrière de toutes mes dernières forces, juste avant de heurter un bord en mousse et de glisser le long de la pente, juste avant de voir l'air au dessus de ma tête s'illuminer par ionisation.

La créature au tentacule artificiel vient d'ouvrir le feu.

Je n'ai pas le temps d'avoir une pensée pour mon malheureux codétenu que je ne reverrai certainement jamais, je plonge déjà dans l'eau glaciale et le courant m'emporte comme un fétu de paille me lançant brutalement contre des rochers du Dévonien. Je vois la surface écumante s'iriser, je réussis malgré tout à reprendre mon souffle. Je laisse l'air me brûler les poumons avant de replonger.

Les coups de rayons ionisant s'espacent, le courant se fait moins impétueux...enfin la plaine...un semblant de calme précaire...le temps de me rappeler la veille de notre enlèvement, nous étions arrivés sur la zone de Tthek’éhdélį...le campement avait disparu, englouti par le torrent devenu énorme, on distinguait encore quelques restes de bâtiments émergeant des eaux boueuses, et comme par miracle, certaines embarcations étaient toujours ancrées.

IX bis

Arraché,

de sa vie à 17 : 34 : 18 GMT post-innsbruckien. Le tubulaire automatique défilait encore le long des horizons d’immeubles bordant la ligne Bastille-Auxerre. Dans la rame trente-trois, une légère baisse d’intensité du champ des propulseurs électromagnétiques suffit à provoquer une faible secousse. Rythmant l’atmosphère feutrée du wagon à décompression, l’horloge digitale affichait toujours 17 : 34 : 18 quand l’onde émanant de la turbine défaillante atteignit le siège quatorze de l’allée ouest et réveilla d’un coup sec l’ulcère du père de Josef.

S’il fallait vainement tenter de transcrire verbalement ce que fut alors l’amas de pensées qui envahit son esprit, il faudrait sans doute se demander, confusément, si le drame ne commence pas au moment précis, où le héros s’habitue enfin à sa douleur, ou encore s’interroger sur les possibilités de révolte, mais surtout, pester contre ces satanés régulateurs de champ primo-innsbruckiens !

Mais le père de Joseph n’eut guère le temps de choisir le possible le mieux approprié à son état psychique : le métro tubulaire explosait.

Il était toujours dix-sept heures trente-quatre minutes et dix-huit secondes. Le premier cylindre à fragmentation lancé par l’Empire de Septa Minor venait de heurter la Terre.

La position officielle de la Compagnie Martienne de Commerce refusa tout compromis. L’opinion publique de la Fédération Européenne admit sans mal le caractère intolérable d’une telle agression, et sans ciller, soutint les sévères ripostes imaginées par les stratèges de la Compagnie. La disparition brutale de sept cent vingt-trois programmateurs du département parisien des finances prévisionnelles incita le Conseil d’Administration à la plus grande fermeté.

Le lendemain personne ne doutait plus que la valeur de la réplique n’égalerait que sa brutalité. Une semaine à peine s’écoula et déjà trois cent douze stations spatiales déchargèrent leurs silos nucléaires en direction de Septa minor.

Trois semaines plus tard, de légères perturbations dans les orbites ancestrales des planètes du système solaire furent dûment enregistrées par les astronomes. Le même jour, l’ensemble des éditeurs mondiaux demandèrent une subvention fédérale à la taille de l’événement.

Déjà les rotatives tournaient à plein régime pour imprimer de nouvelles cartes du ciel...

...Septa minor avait disparu.

X

Joseph contemplait l'abime, et l'abime contemplait Joseph.

Des points sombres s'agitaient au fond du gouffre éclairé par un grand soleil, trônant au zénith de l'azur immaculé d'une magnifique journée, contrastant si tragiquement avec l'effroyable situation.

Joseph est seul, abandonné, il recherche désespérément un réconfort...

...au fond de l'abime...

 

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