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Du «rex Francorum» au «roy des François» II

Du «rex Francorum» au «roy des François» II

 

La titulature des souverains des pays de France : du «rex Francorum» au «roy des François» (680 – 1790)

II : Tableau chronologique des sceaux des souverains et commentaires

***

2 – Typologie des titres des souverains

2.1 - Méthodologie

Seules les légendes employées sur les sceaux seront systématiquement étudiées. Les contre-sceaux apporteront éventuellement une précision si nécessaire. Quand il en existe plusieurs, seuls les premiers sceaux seront pris en compte. A partir de l'époque capétienne, on ne fera référence qu'aux seuls «Grands Sceaux» ou «Sceaux de majesté», sur lesquels le souverain apparaît assis de face, brandissant les attributs royaux (le sceptre, le globe, le bâton de justice...)

Il arrive, en effet, que pour un même souverain, les titres varient selon le type des documents. Élie Berger a montré par exemple que si Louis VII était dénommé «Francorum rex» dans la légende du «Grand Sceau», certains autres documents le désignaient aussi comme «rex Francorum» ou «dux Aquitanorum»:

«Louis VII, qui dans ses plus anciennes chartes s'est intitulé rex Francorum et dux Aquitanorum, et qui à la fin de son règne ne s'appelait que Francorum rex, n'a pas renoncé au titre duc d'Aquitaine […] on ne trouve dux Aquitaniae que sur les copies...» (BERGER.1884: 305)

La description de la légende des sceaux ne comportera aucune référence à l'orthographe (rex Francie - rex Franciae, roy de France – roi de France), les abréviations seront systématiquement reconstruites en majuscules dans le corps des commentaires où la graphie du [U] et du [Vsera respectée, même si c'est la graphie moderne qui est le plus souvent utilisée dans le tableau. Les croix ou le Chrisme seront marqués par [+] ; le signe [+précédant une date indique la date de décès du souverain. On ne portera aucune attention à la police. Suivant le principe méthodologique formulé par Natalis de Wailly, seul le niveau sémantique sera conservé:

«lors même que deux formules sont identiques pour le sens et composées des mêmes mots, elles peuvent se distinguer par des abréviations ou par la forme particulière de certaines lettres.» (WAILLY.1843: 447)

Il faudra attendre un arrêt de Louis XIII, publié au parlement de Paris le 26 février 1633, pour que soit répandu l'usage d'une police uniformisée:

«Les alphabets soumis par Barbedor et Lebé furent retenus en février 1633. La cour ordonna à la communauté de dresser des exemples explicatifs de la méthode de composition des lettres retenues, de les graver et de les faire imprimer pour le bénéfice du public, interdisant corrélativement «à tous lesdits Maîtres Jurés-Ecrivains & autres qui font profession d’enseigner d’user d’autres Alphabets, Caractères, Lettres & Formes d’Ecrire que celles contenues esdit Exemplaire [pour] instruire la jeunesse qui leur sera commise.»» (METAYER.2001: 886)

Les souverains et leur titre respectif sont classés chronologiquement. Si le chiffre marquant le rang du roi dans son nom varie d'une source à l'autre, il sera indiqué entre parenthèse. Si aucune date précise n'est associée à l'apparition du sceau, ou si la date du document varie d'un inventaire à l'autre, il en sera fait mention, ou c'est la période de règne du souverain qui sera indiquée. N'apparaissent pas dans ce tableau les rois «supposés», dont on ne possède aucun sceau attestant de leur titre, ou ceux dont l'original a disparu, ou dont l'existence n'est pas confirmée par les trois sources simultanément.

 

2.2– Tableau chronologique :

Légende reconstruite

Nom (en français)

Date d'apparition

ou

période de règne

Theudericus, Chlodovius, 

Childebertus, Chilpéricus 

Rex Francorum

Thierry (III), Clovis III, 

Childebert III, Chilpéric II

680, 693,

709, 716

-

Pépin le Bref, Carloman

Charlemagne

752, 769

779

+ XPE (chrisme: Khi Rho) Christe Protege Carolum Regem Francorum

Charlemagne

774

+ XPE Christe Protege Hlvdovicvm imperatore.

Louis «le Débonnaire» / «le Pieux»

816

+ XPE Christe Adjuva Hlothariv.MP. Avg. (Wailly)

+ XPE Christe Adjuva Hlotharivm Imperatorem (Arcq)

Lothaire Ier

840

843

+ Karolus Gratia Dei Rex

Charles «le Chauve»

843

Hludovvicus Misericordia Di Rex

Louis II «le Bègue»

878

+ Karolus Gratia DI.(Rex) - 

(Le chrisme n'apparait pas chez Wailly)

Charles «le Simple»

911

Zventeboldvs Rex

Zuentebolde, roi de Lorraine

897

Rodulfus Gratia DI. Rex

Rodolphe/Raoul

932

+ Robertus Gr. DI. Francoru. Rex

Robert II «le Pieux»

997

(+) / Heinricus Di. Gra. Francoru. Rex

Henri Ier /

la croix (+) réapparait pour

Philippe III

1031 – 1060 /

1271

Ludovicus Dei Gratia Francorum Et Navarre Rex

Philippe IV «le Bel»

(au contre sceau :et Navarre)

Louis X «le Hutin»,

Philippe V «le Long»,

Charles IV «le Bel»

1288

 

1315

1320

1328

Philippus Dei Gratia Francorum Rex

Philippe VI

1328

Karolus Dei Gratia Francorum Rex Octavus

Charles VIII

1495

Franciscus et Maria D.G. R. R. Francor. Scot. Angl..et Hyber.

François II et Marie Stuart

1559

Ludovicus XIII Dei Gratia Fracorum Rex

Louis XIII «le Juste»

1610 Arcq 

et Sigilla.org

1616 Wailly

Louis XIII Roy de France et de Navarre – Par la Grâce de Dieu

Louis XIII «le Juste»

1613 Sigilla.org

1617 Arcq

1618 Wailly

1633 pour la légende complète

P.L.G.D. Dieu et la Loy constitutionnelle de l‘État Roy des François

– l'orthographe contemporaine (roi-loi, mais «François» inchangé) apparait sous Louis XVI mais n'est pas datée.

Louis XVI

1790

***

3- Commentaires du tableau

3.1 - Les absents

- Childéric

Découvert à Tournai en 1653, le célèbre anneau sigillaire de Childéric Ier connait un destin particulièrement romanesque. En effet, Geneviève Bührer-Thierry et Charles Mériaux nous apprennent qu’il a été dérobé en 1831, avec l’ensemble de l’or du trésor trouvé dans le tombeau du père de Clovis Ier.30

Même si Chifflet avait fait l’inventaire de ce trésor dès le 17ème siècle, et malgré la promesse de M. Lenormant de «procurer aux archives un exemple de ce type curieux» (WAILLY.1823: 478), la légende de cet anneau n'apparait pas dans notre tableau.

- Clovis Ier

Ni ses supposés ancêtres depuis Faramond, ni le célèbre Clovis Ier n'apparaissent dans notre inventaire. Nous ne disposons d’aucun des sceaux du roi ayant unifié tous les Francs. Aucune information ne permet de le décrire, même si les auteurs de Sigilla.org font état d’un témoin affirmant son existence:

«Sceau de forme, dimensions, dessin et légende inconnus […] attesté par une mention dans le Liber historiae Francorum.»31

Plus encore, malgré la fameuse biographie de Grégoire de Tours, Clovis Ier reste absent de certaines chroniques. On peut citer notamment celle de Lausanne, rédigée par Marius d'Avenches à la fin du Vième siècle. Bien que couvrant les années 435-581, la chronique ne nomme jamais explicitement Clovis Ier. «Childebert, Clotaire et Théodebert» sont les premiers rois des Francs dignes d'être cités par l'évêque de Lausanne.32

Cette absence de documents mérovingiens authentifiés par le sceau du souverain n’est qu’un moindre problème. Carlrichard Brühl va jusqu’à remettre en cause l’authenticité de l’ensemble des documents «originaux» attribués aux premiers supposés mérovingiens:

«On sait qu'il ne nous reste de Clovis aucun acte sincère qui viendrait tant soit peu éclairer l'histoire de son règne: triste constat que l'on peut étendre à l'ensemble du VIème siècle mérovingien, dont les rois pas plus que leur homologues lombards, ne nous ont laissé un seul acte qui ne soit une forgerie.» (BRÜHL.1996: 219)

En note en bas de page, Carlrichard Brühl précise qu'on trouve dans une copie d’une lettre de Clovis, adressée aux évêques, le titre de «rex» sans le complément «Francorum.» (BRÜHL.1996: 219)

Le document le plus ancien, conservé aux Archives Nationales, date de 625 et mentionne Clotaire II, mais aucun sceau n'y apparait:

«Les Archives nationales conservent environ trois cents diplômes mérovingiens et carolingiens, le plus ancien étant un papyrus de Clotaire II daté de l’an 625.» (NIELEN, PREVOST.2013: 4)

Dagobert I / II

Malgré la popularité du grand roi et de son ministre des finances, célébrés par la comptine pour enfants, Dagobert a aussi été exclu de notre inventaire. En effet, si Dagobert est identifié différemment par Douët d’Arcq (Dagobert Ier - roi d'Austrasie et des Burgondes vers 629-639 régnant avec son ministre Eloi) et Sigilla.org (Dagobert II – roi d’Austrasie de 676 à 679, assassiné par Thierry), il est complétement absent de l’inventaire de Natalis de Wailly. La base Sigilla.org ne présente aucune matrice du premier Dagobert dont elle suppose l’existence. Quant au sceau du second Dagobert, il est jugé douteux par Sigilla.org, et reste tout autant problématique, puisque nous ne disposons plus que d’un «Moulage fait à partir d'une empreinte prise sur une matrice en bronze, découverte en 1840 dans le Doubs, mais aujourd'hui disparue.»33

- Sigebert II / III

Le fils aîné de Dagobert Ier est recensé par les archivistes du XIXème siècle en tant que Sigebert II, il apparaît comme troisième du nom sur Sigilla.org. Le sceau est décrit comme une tête d'homme de profil, tournée vers la gauche, coiffée de long cheveux et accompagnée de part et d'autre des deux lettre S. et R. (*Sigebert Rex)

Mais manquant de cohérence avec le reste de la série mérovingienne34, la conclusion de Sigilla.org s'impose certainement : «Anneau sigillaire d'or attribué de façon douteuse à ce roi. Il serait plus probablement un anneau privé d'un personnage dont les initiales seraient S et R.»35

Hugues Capet

Le fondateur de la troisième dynastie n'est mentionné que grâce à l'illustration de son sceau, «uniquement connu par des dessins», et n'apparait que dans la base de Sigilla.org.36

Dans leur «Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789», les auteurs présentent Hugues Capet comme un usurpateur. Ils n'omettent pas de rappeler l'absence de document législatif le désignant comme «roi des Francs»: «Un savant nous a dit avoir vu des Chartes de cette époque, datées de différentes années de l'usurpation de Hugues, duc de France.» (JOURDAN, DECRUSY et ISAMBERT.1821: LXII)

Faute de documents originaux, le «Dux Aquitarum»/«Dux Francorum» (GANSHOF.1972: 15) n'apparait ni en tant que «rex Francorum», ni comme «Francorum rex» dans notre tableau.

Le  «Rex Franciae»

Bien qu'il soit censé valider la thèse de l'évolutionnisme soutenue par la connaissance commune, le titre de «rex Franciae» a complétement disparu de notre tableau. On ne trouve aucune trace de cette étape fondamentale, même si elle aurait dû prouver la transition naturelle entre le «Francorum rex» latin et le «roi de France» français.

Cette absence d'un titre intermédiaire, permet de fonder toute la critique adressée à l'optique anachronique, d'une histoire passée au prisme du nationalisme. Une telle histoire pèche par son heuristique inefficace. Elle se montre, en effet, incapable de découvrir de simples faits. Et au contraire, elle en invente d'autres pour satisfaire ses besoins idéologiques.

La «collection de sceaux des rois et des reines de France» se montre incapable de nous renseigner sur l'identité du premier «rex Francie», car selon les critères nationalistes modernes, même si Édouard III Plantagenêt, petit-fils du Capétien Philippe IV Le Bel, fils d'Isabelle de France et d'Édouard II (mort en 1327), parle encore très certainement français, il passe aujourd'hui pour un «Anglais» !

En réalité, dans un contexte féodal qui ne connait pas encore le concept de nation, les cousins rivaux n'ont pas oublié leur lien de parenté. Dans une communication au Parlement en janvier 1338, Édouard évoque la demande du Pape de parvenir à «un traité de paix avec notre parent consanguin de France.»37 (MOEGLIN.2012: 889)

Le souverain Plantagenêt semble avoir été contraint de réagir à la politique agressive menée par son cousin Valois. En août 1337, Philippe VI avait confisqué la Guyenne, et d'une manière générale Édouard se plaignait déjà au pape, ou à son légat, d'être victime d'injustices répétées: «Nous défions désormais, comme la nécessité nous y oblige, le dit Philippe en tant que violateur desdites trêves et notre ennemi et persécuteur capital, et l’injuste usurpateur de notre royaume de France, et le téméraire envahisseur de tous nos autres droits.»38 (MOEGLIN.2012: 891)

Pour se préserver des persécutions du Valois, Le Plantagenêt se décida d'entamer la lutte pour priver son cousin de son pouvoir de nuisance et lui ravir son trône. Édouard dès lors commença à revendiquer ses droits sur la couronne de France: «C’est le 7 octobre 1337 qu’Édouard III mentionne pour la première fois officiellement sa revendication de la couronne de France» (MOEGLIN.2012: 889)

Il saisit l'occasion de la construction d'une union commerciale et financière avec le Comté de Flandres, pour appuyer sa «revendication dynastique […] au trône de France.» (ROYER-HEMET. 2012:31) Il adopta le titre de «Rex Angliae et Franciae et Dominus Hiberniae et Dux Aqvitanie» le 23 janvier 1340 à Gand. (LETTEHOVE.1866: 479-480)

«Ce fut par le conseil d'Artevelle qu'Édouard prit ce titre de roi de France que ses successeurs n'ont point encore quitté. L'objet de cette démarche était de lever le scrupule que les Flamands pouvaient se faire de porter les armes contre leur suzerain: or ce suzerain était le roi de France, quel qu'il fût.» (PANCKOUCKE.1784: 248)

Mais plus encore que le seul ralliement des Flandres, on peut comprendre la stratégie plus large suivie par Édouard III qui cherche à contourner l'obstacle de la «loi salique.»

Dans l'appareil critique accompagnant sa traduction de «La Nouvelle Atlantide» de Francis Bacon, Michèle Le Doeuff résume la pomme de discorde que représente cette «loi salique»:

«En effet, depuis le XIVème siècle, les Anglais assurent que cette «loi» (qui stipulerait que "in terram salicam mulieres non succedant", que les femmes sont exclues de la succession de «la terre salique») s'applique seulement au canton de Sale, ou à une vieille ville du Rhin nommée Salem, ou à une région d'Allemagne située entre l'Elbe et la rivière Sala (Saale) - en tous cas pas à la France: car, si elle ne vaut que pour cette «terre salique», alors la prétention des souverains anglais à la couronne de France est légitime.» (LE DOEUFF.1997: 139)

Ainsi, en abandonnant toutes prétentions au titre de «roi des Francs», Édouard s'estime libéré des traditions du système de transmission du pouvoir, auquel sont soumis les Francs «saliens.» Si la «loi salique» s'applique nécessairement au «Francorum rex», elle ne concerne pas le «rex Franciae.»

Les successeurs d'Édouard III resteront «King of France» jusqu'en 1801.

«In 1800, the British and Irish Parliaments passed an Act of Union that took effect on 1 January 1801 and united Great Britain and Ireland into a single state, known as the «United Kingdom of Great Britain and Ireland.» George used the opportunity to abandon the title «king of France», which English and British sovereigns had maintained since the reign of Edward III.»39

Les armoiries britanniques arborent encore aujourd'hui une devise en français, «Dieu et mon Droit», afin de rappeler les revendications des souverains d'outre-Manche.40