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Du «rex Francorum» au «roy des François» I

Du «rex Francorum» au «roy des François»

 

La titulature des souverains des pays de France,

du «rex Francorum» au «roy des François» (680 – 1790)

 

Résumé –

Cette étude cherche à identifier le premier souverain utilisant le titre de «roi de France» en français. Pour y parvenir, nous avons rassemblé dans un tableau chronologique les légendes inscrites sur les sceaux royaux en nous référant aux inventaires de Natalis de Wailly (1843), Louis-Claude Douët d'Arcq (1863) et les fiches numériques mises en ligne par Sigilla.org. La méthode consiste à décrire le plus précisément possible les légendes du titre utilisé par les souverains, dans le but de vérifier si elles correspondent aux affirmations de la connaissance commune qui construisent le roman national. Cette recherche détermine si les différentes formes attendues : «rex Francorum», «rex Franciae » et «roy de France» démontrent une évolution «naturelle» et diachronique des usages linguistiques, ou si elles reflètent des changements des rapports de force politiques. Dans cette dernière hypothèse, nous verrons quel est le contexte historique dans lequel apparaît le titre de «roy de France» et quel projet politique il implique.

Content -

This study endeavors to identify the first ruler to style himself «roi de France» in the French vernacular. To this end, we have compiled a chronological register of the legends appearing on royal seals, drawing on the inventories of Natalis de Wailly (1843) and Louis Claude Douët d’Arcq (1863), together with their digital counterparts published on Sigilla.org. By describing these legends with the greatest possible precision, we assess the validity of widely accepted claims that sustain the French «national narrative.» The inquiry further asks whether the successive formulas—rex Francorumrex Franciae, and roy de France—represent a «natural» linguistic evolution or, rather, signal shifts in the kingdom’s internal political power relations. In the latter case, we shall investigate the historical conjuncture in which the vernacular title roy de France first appears and the political programme its adoption implies.

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0- Introduction: exposé de la problématique, de la méthode et du plan de l'article

«Notre roman national peut-être romancé, exagéré ou fantasmé, mais il est notre roman national.»1

Dans le cadre d'un débat sur l'identité nationale, le sixième président de la cinquième République (2007-2012) laissait entendre que l'exactitude et la précision ne sont pas des priorités de l'enseignement de l’histoire en France.

Au contraire, afin d'agréger des membres hétérogènes au sein d'une grande nation cohérente, l'objectif de cet enseignement est de construire des croyances communes, partagées par tous les citoyens. Peu importe que ces croyances fussent romancées, exagérées ou fantasmées.

Le contenu de l'enseignement devient dès lors une vague doxaune connaissance commune2suffisamment floue et polymorphe pour s'adapter aux gré des besoins des idéologies en vigueur. Selon les exigences du moment, les Français pourront revendiquer comme ancêtres, tantôt des Francs, tantôt des Gaulois…

Cette courte étude montrera comment, le manque systématique de précision, est devenu aujourd'hui un obstacle infranchissable, quand il s'agit de déterminer le nom du premier souverain à porter le titre (en français) de «roi de France.»

Certes, en abordant la thématique des différents titres portés par les souverains «français» dans l'histoire, on s'aperçoit que l'exigence d'exactitude n'a pas toujours été exclue du champ des discussions académiques. En 1885, dans une publication de l’école des chartres, Julien Havet s’évertuait à éclaircir un malentendu à propos du titre porté par les monarques mérovingiens. Son étude conclut que: «le titre de rex Francorum vir inluster n’appartient donc pas à la période mérovingienne.» (HAVET.1885: 145)

Mais, la première partie de cette petite étude, montrera que la connaissance commune évite systématiquement, de poser la question de l'identité du premier «roi de France», et se contente, le plus souvent, de présenter les souverains regroupés par dynastie, sans se soucier de leur titre: «Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens (Capétiens directs, Valois, Bourbons, Orléans.)»3

Nous verrons comment les articles de Wikipédia fournissent un résumé, assez élaboré, de l'ensemble des titres des souverains à travers l'histoire. Mais cette première approximation, mêle les usages populaires aux titulatures officielles. Elle ne s'astreint pas non plus à présenter le titre en langue originale. Elle manque ainsi le passage crucial de l'abandon du latin, et de l'apparition du premier titre en français.

La deuxième partie de cette étude se propose d'élaborer un tableau, précisant le plus exactement possible, les dates du règne et, en langue originale, les titres portés par les souverains au sud de la Manche, sur ces territoires dont on ne sait s'il faut encore les appeler les Gaules ou déjà la France.

Accepter la dichotomie d'un premier «roi de France», régnant sur un pays qui n'est pas «la France», ne pose aucun problème à la logique du roman national: «Clovis Ier...considéré comme le premier roi de France...à cette époque, la France ne s'appelle pas d'ailleurs «la France.»»4 Pourtant, il n'est en rien intuitif d'admettre que le «roi des Francs», parlant toujours latin, puisse soudain se désigner comme «rex Franciae»(ou «rex Francie») et abandonner volontairement son titre sur les Gaules ou les Gaulois...voir sur les Francs!

....ou Africains, comme en témoigne le programme de la cérémonie de clôture des Etats généraux de 1614/1615 :

« Comme c'est la coutume invétérée entre les princes de la chrétienté d'accompagner les jours gras de quelques réjouissances publiques et d'obliger leurs peuples par des divertissemens agréables, on décida qu'à l'occasion de l'heureuse conclusion des Etats, on danserait un ballet dépassant en somptuosité tout ce qui s'était fait par le passé et ôtât à l'avenir l'espérance de rien faire de même.»

« Le vrai ballet, qui avait nom l’Africaine ou le Triomphe de Minerve, commença : on vit, dans un paysage nouveau, se succéder les plus belles filles de la cour, « habillées à l’antique africaine, mais fort court pour ne point nuire à la danse… » 

M. le duc de LA FORGE cité par Gabriel Hanoteaux

Hanotaux, Gabriel. “RICHELIEU AUX ÉTATS DE 1614.” Revue Des Deux Mondes (1829-1971), vol. 119, no. 3, 1893, pp. 509–44. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/44762708. Accessed 12 July 2025.

Pour construire la typologie des titres des souverains, je me référerai aux inventaires des sceaux établis par Natalis de Wailly, Sur une collection de sceaux des rois et des reines de France (1843), par Louis Claude Douët d'Arcq, Collection de Sceaux (1863) et par la Base numérique des sceaux conservés en France élaborée par Arnaud Baudin, Jean-Christophe Blanchard, Laurent Hablot, Philippe Jacquet, Ambre Vilain, et disponible en ligne sur le site Sigilla.org.

En effet, placés sous la protection du garde des Sceaux, et de par leur fonction consistant à garantir l'authenticité du document et l'identité de son auteur, l'étude des sceaux royaux constitue le chemin le plus sûr pour mener à bien cette entreprise de classification des titres de souveraineté.

Avant de fournir en conclusion, une réponse digne de confiance à notre question initiale, la dernière partie de cette courte recherche commentera les résultats apparus dans la classification chronologique des titres des souverains.

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1 –L'identité du premier «roi de France» selon la connaissance commune

1.1 - Polysémie du praxème «France»

L'article «Roi des Français», disponible en ligne sur l'encyclopédie Wikipédia, démontre l'ampleur de l'imprécision dont fait preuve la connaissance commune, quand il s'agit de différencier les titres de souveraineté:

«Le titre de roi des Français rappelle celui de roi des Francs (en latin : rex Francorum), qui était la titulature latine officielle des rois de France, avant que la titulature de rex Franciae («roi de France» en français) soit adoptée.»5

En utilisant la forme passive («soit adoptée»), les rédacteurs peuvent taire l'identité du complément d'agent. Il n'est fait mention d'aucun souverain, de date ou de contexte concret. Les rédacteurs recourent à de vagues analogies, un titre en «rappelant» un autre. Ainsi la connaissance commune démontre sa capacité à vider les titres des souverains de toute signification précise. Elle peut ainsi les considérer comme des synonymes, parfaitement interchangeables.

Pourtant, il est difficile de comprendre pourquoi le «rex Francorum» règnerait sur la «France» et pas sur «les Gaules.» Effectivement, la traduction de l'œuvre de Grégoire de Tours ne permet aucune ambiguïté. Elle évoque en effet l'épopée du réputé premier «roi des Francs» se lançant à la conquête «des Gaules»:

«Le roi Clovis dit à ses soldats : «Je supporte avec grand chagrin que ces Ariens possèdent une partie des Gaules. Marchons avec l’aide de Dieu, et, après les avoir vaincus, réduisons le pays en notre pouvoir».»6

On peut cependant imaginer un «roi des Francs» régnant sur un territoire, et pas un État, qu'on appellerait déjà la «France.»

Dans sa biographie de Philippe-Auguste, le moine Rigord décrit un territoire équivalent à la Neustrie, ou à la Gaule celtique, et sur lequel règne le Capétien. On désigne ainsi ce «roi de France» pour le différencier du «roi des Francs», régnant sur la Gaule Belgique:

«À proprement parler, le royaume des Francs est pris lorsque seule la Gaule Belgique est appelée le royaume des Francs, qui s'étend au-dessous du Rhin, de la Meuse et du Liger, et que la Gaule, par un terme approprié, est appelée la France dans les temps modernes. Il est seulement vrai que, à cause de l'insolence des rois des Francs, ils ne méritent pas encore d'avoir cette terre qu'ils appellent de plein droit la France»7 (DELABORVE.1884: 604)

Après la chute de la dynastie mérovingienne, la Neustrie se dissout dans l'empire carolingien. Il faut dès lors rejeter la définition assimilant la «France» à un territoire se différenciant du royaume d'Austrasie. A l’époque carolingienne, les Gaules dans leur ensemble sont remplacées par les royaumes de Francie, orientale, médiane ou occidentale.

Cependant, la «douce France» de Charlemagne persiste comme une entité à part entière. Mais, elle ne se laisse si facilement assimiler ni aux «Gaules» ni aux «Francies.»

L'auteur du Roman d'Aquin décrivait la France du «Roy Charlemaine» comme une étendue délimitée par une série de villes à conquérir: «Laon, Paris, Chartes, Saint-Denis, Orléans, Soissons.» (JOUON DES LONGRAIS.1880: 8)

A la fin de l'époque carolingienne, sous sa forme la plus étroite, «la France» se réduit au domaine de la seigneurie de Laon:

«Sous les derniers Carolingiens, les comtes et les ducs furent devenus héréditaires dans leur commandements, et [...] eurent réduit le roi de France à n'être plus que le seigneur de Laon...» (JOURDAN, DECRUSY et ISAMBERT.1821: LXXV)

Ainsi, en jouant sur une polysémie ambiguë, assimilant indument «le territoire» et «l'État», la narration désinvolte de la connaissance commune laisse librement ouvert le champ des interprétations possibles.

Mais en poussant davantage l'étude des affirmations soutenues par la doxa, on met à jour ses contradictions. Sur la base de catégorisations variées, différents auteurs ne s'accordent pas sur les solutions proposées au problème de l'identité du premier «roi de France.»

 

1.2 - Différentes hypothèses

1.2.1 - L'hypothèse «implicite» de Robert II «le Pieux» (996-1031) et le cas des rois à «double couronne»

Dans l’article «Royaume francs» de Wikipédia, on relève une catégorisation corrélant les styles de souveraineté à la succession des dynasties: les Mérovingiens et les Carolingiens forment les rangs des «rois des Francs» et l'élection au trône d'Hugues Capet (987-996) d'en clore la liste.8

Le concept de «France», apparaissant avec le titre des souverains capétiens, ne désigne pas seulement un territoire, tel qu'on l'imaginait pour les époques mérovingienne ou carolingienne. Plus qu'un espace géographique, il endosse aussi une dimension existentielle, et correspond à un changement dans les coutumes de l'hérédité royale.

Les deux premières dynasties se caractérisent par le partage paternel du royaume: à la mort du roi, chaque fils héritait de sa part du royaume. Mais, avec l'avènement de Robert II «le Pieux», on entérine un nouveau principe. Dorénavant, le fils aîné devient l'unique héritier à monter sur le trône. Dans son étude, portant sur les relations mêlées entre héritage et élection comme principes dirigeant l'accès au trône, Jean Dhondt confirme cette approximation dans sa conclusion:

«Sous Robert II la couronne est transmise d'après les règles de l'hérédité et de la primogéniture. Il n'en a plus été autrement dans les siècles suivants.» (DHONT.1939: 953)

Ce domaine royal, placé en indivision, devient d'abord un principe de fonctionnement auquel on pourra attribuer a posteriori, au gré des conquêtes, un territoire concret. Il servira de support à l'idée d'un unique «roi de France», exigeant son unique «royaume de France.»

Dans cette catégorisation, les descendants d'Hugues Capet forment la lignée des «rois de France», et Robert II «le Pieux» en devient de facto le premier de la liste. Pourtant, à ma connaissance, il n’existe aucun texte, d’historien ou de commentateur, lui attribuant explicitement la primauté du titre.

Plus encore, en se penchant en détail sur la fiche présentant le sigillaire de Robert II sur Sigilla.org, on s'aperçoit de l'étrangeté de cette catégorie de «roi de France» utilisée par la base numérique, car la légende du sceau prouve que Robert II se considère encore comme «rois des Francs»:

«+ ROTBERTVS GRATIA D(e)I FRANCOR(um) REX»9

L'exemple de Robert II n'est pas le seul à démontrer le caractère flottant de cette première catégorie de «roi de France.» Cette étrange incohérence apparait en effet, quand on observe davantage la liste établie par les auteurs de Sigilla.org.

Si Robert II «le Pieux» (996-1031), Henri Ier (1031-1060), Philippe Ier (1060-1108) et Louis VI (1108-1137) apparaissent déjà en tant que «roi de France»10, ils n'ont pas pour autant quitté la liste des «roi des Francs.»11

Wikipédia ou Sigilla.org mettent en œuvre une catégorisation qui ne s'appuie pas sur une description scrupuleuse du titre du souverain. En construisant leurs catégories, les auteurs déroulent un a priori de la perception, sans jamais prendre en compte aucune vérification expérimentale. Loin de soucis de cohérence ou de considérations empiriques, ne fournissant pas une image précise des éléments, c'est au contraire une reconstruction idéologique qui informe les catégories. Dès lors, les résultats issus de ces constructions idéologiques, peuvent très bien prendre un aspect contradictoire ou amphibologique.

 

1.2.2 - L'hypothèse Philippe II «Auguste» (1180-1223)

Comme premier niveau d'approximation, la catégorisation employée par la connaissance commune est basée sur la supposition, a priori et implicite, que le premier «roi de France» apparaîtrait avec la dynastie capétienne. Il est alors étonnant de constater l'existence d'une autre thèse, explicite et très largement répandue. Elle présente Philippe II «Auguste», septième roi de la dynastie des Capétiens, comme un deuxième potentiel premier «roi de France», mais parlant toujours latin:

«Apparaît, à partir de 1190, [le titre] de rex Franciæroi de France qui sera dès lors en concurrence avec le titre de rex Francorum jusqu'à la Révolution.»12

Pour donner corps à ce changement de titre du souverain, on cite souvent un document communément appelé l’Ordonnance-testament de 1190.

Considérée comme «la première constitution écrite de la monarchie capétienne»13, cette ordonnance a été «prise [au] départ [du roi] pour la croisade, organisant le gouvernement en son absence.» (SMITH.2015: 26)

L'article anglophone «Style of the French sovereign»14, sans préciser si la langue traduite reste le latin ou est déjà le français, décrit spécifiquement le changement de titre de 1190:

1180–1190

By the Grace of God, King of the Franks, Count of Artois

Philip II

1190–1223

By the Grace of God, King of France

Philip II

Pourtant, dans le prologue de sa «Gesta Philiippi Augusti», le premier biographe du roi Philippe, se présente explicitement comme le chronographe des «Rois des Francs»: «natione Gothus, professione phisicus, régis Francorum cronographus.» Le moine Rigord se donne comme projet de rédiger une «hystorie regum Francorum», et le roi Philippe, malgré son titre d'Auguste, ne fait pas exception à la règle: «Dei gratia Philippi régis Francorum semper Augusti»15

L'original étant perdu, cette ordonnance-testament de 1190 a été retranscrite à partir de l'ouvrage du moine Rigord par Elie Berger dans son «Recueil des actes de Philippe Auguste.» Elle est librement disponible en ligne et universellement accessible. Et même si des transcriptions peu scrupuleuses font état de «roy de France», tout un chacun peut constater que ce document ne laisse apparaître nulle part le titre mythique. Au contraire, il y est fait usage du traditionnel «roi des Francs»: «In nomine sancte et individue Trinitatis. Amen. Philippus Dei gracia Francorum rex.» (BERGER.1916: 416)

Puisque la date de 1190 est incapable de s'imposer positivement comme le moment incontournable d'une rupture historique définitive, la connaissance commune devra alors la considérer comme la première étape d'une évolution progressive. Un article en anglais de Wikipédia résume ainsi cette progression:

«The first king calling himself rex Francie («King of France») was Philip II, in 1190, and officially from 1204.»16

En lisant sur Wikipédia les pages d'archives de la discussion attachée à l'article consacré à Philippe II «Auguste», on comprend que cette impression d'évolution progressive, plus que de refléter une réalité historique, nait certainement davantage des désaccords inconciliables entre les auteurs:

«Alain Derville, né en 1924, agrégé d'histoire, docteur ès lettres, professeur à la Faculté des Lettres puis à l'Université de Lille III dans son livre La société française au Moyen Âge, 2000, p. 264 dit que «dès 1200, Philippe Auguste abandonna le titre de roi des Francs (rex francorum) par celui de roi de France (Rex franciæ).»»17

«Marie Thérèse Jones-Davies, professeur à l'Université Paris Sorbonne dans Langues et nations au temps de la Renaissance p. 39, dit que «Cette titulature devint officielle en 1181 lorsque Philippe-Auguste déclara : Philippus Dei gratia Franciae rex (Philippe roi de France par la grâce de Dieu).»»18

Bernard Guenée (Politique et histoire au Moyen Âge. 1981) se réfère à la date traditionnelle de l'Ordonnance-testament de 1190:

«Mais, en 1190, Rex Francie apparaît dans quelques actes influencés par les traditions des Plantagenets.»

Il évoque aussi 1204, impliquant sans doute que la «France» serait la notion correspondant au nouveau territoire défini après la conquête de la Normandie:

«On n'aura pas été sans remarquer que l'expression Rex Francie a été adoptée dans la titulature officielle en juin 1204, juste au moment de la prise de Rouen.»(Guénée.1967: 160)

«Alain de Benoist dans La ligne de mire, p. 62, dit que: «l'expression rex Franciae n'apparaît qu'au XIIIe siècle sous Philippe Auguste après la défaite de Muret» (le 12 septembre 1213 - dans le cadre de la croisade contre les Albigeois commencée en 1209.)»»19

La bataille de Bouvines en 1214 passe aussi pour un événement à même de symboliser l'avènement du «roi de France.» Pour la revue de popularisation scientifique «Ça m'intéresse», cette date correspondrait logiquement à la disparition de la «Gaule» remplacée par la nouvelle «France»:

«Symboliquement depuis 1214, quand les troupes du roi Philippe Auguste battent celles de l’empereur germanique à Bouvines. On utilisait depuis l’an 883 le mot Francia (pays des Francs) et, avant cette date, Gallia (pays des Gaulois). En grec, la France s’appelle toujours Gallia.»20

D'après John W. Baldwin, «la dernière phase (1214-1223) au cours de laquelle se construit, dans la paix et la prospérité, la nouvelle idéologie d'une monarchie administrative et sacrée où le roi ne se dit plus seulement rex Francorum, roi des Français, mais rex Francie, roi de France.» (BOUCHERON:2015)

Il est vrai que l'ouvrage du moine Rigord (offert au roi Philippe en 1196) utilise parfois le titre «rex Francie», quand par exemple, Philippe côtoie le «rex Ungarie» ou encore le «rex Anglie» qui le couronne lors du sacre du jeune roi à Reims (coronatus est Remis, adstante Henrico rege Anglie, et ex una parte coronam super caput régis Francie. (DELABORDE.1882: 13) Il faut sans doute reconnaître l'influence des «traditions des Plantagenet» dans cet usage dans l'œuvre du « chronographe.» L'occurrence «rex Franciae» y apparaît effectivement en concurrence avec le titre de «Francorum rex.»

Mais plus qu'un renouveau des usages monarchiques, on devrait attacher cette variation des usages linguistiques à une synchronie. On observe une variation identique dans un corpus journalistique contemporain, où le «président de la République» est parfois désigné comme le «président des Français» ou plus rarement comme le «président de la France.»

Cependant, la connaissance commune suppose une logique historique donnant un sens à l'évolution de ces variations stylistiques. Afin de lui donner une apparence «naturelle», inévitable et nécessaire, on suppose qu'un premier «roi de France» latin («rex Franciæ» ou «rex Francie») succéderait au «roi des Francs» (tout autant latin) ; le «roi de France» en français devenant l'étape ultime d'une histoire visant téléologiquement sa fin.

Malgré cette légende tenace et très largement répandue du «rex Franciae» apparut sous le règne de Philippe II, les documents ne laissent pas de place au doute. On le vérifie facilement grâce aux travaux d'Elie Berger (Recueil des actes de Philippe-Auguste, roi de France. 1916) ou de Charles Petit-Dutaillis (Études sur le «Registrum Veterius» et la date de quelques actes de Philippe-Auguste.1938). Alors que les documents authentiques mentionnent toujours et sans aucune exception le titre de «Francorum rex», les commentateurs font systématiquement référence au «roi de France.»

Pourtant Philippe II «Auguste», aura été «roi des Francs» jusqu'à sa mort. Rédigé en 1222, son testament fait toujours mention du «Francorum rex.»21

Pour conclure cette partie, il est important de remarquer que l'idée d'une évolution du titre progressant linéairement vers sa forme ultime, ne concerne que les usages destinés à l'intérieur. Les usages diplomatiques montrent une plus grande variété22:

«les traités et conventions de paix signés entre les vassaux ou alliés et le royaume de France mentionnent sans exception Philippus rex Francorum, Philippe roi des Francs ou des Français, à la différence par exemple de Richard roi d'Angleterre (rex Angliæ – en usage depuis Henri II – 1154 – fils d’Henri Ier, créateur du système Tally Stick).»23

Cette remarque, sur un usage différencier du titre royal dans les traités diplomatiques, est amplement confirmée par les documents et reste valide bien après le règne de Philippe-auguste. Dans les traité de Munsters-Westphalie de 1648, le souverain français apparaît en tant que «rex Galliae» 24 (DUPARC.1948: 53)

François R. Velde témoigne d'autres formes dans le traité de 1648 et dans un autre traité avec l'Autriche. On y trouverait aussi les référence au «roi des Gaules» ou «roi des Gaulois»: «Galliarum et Navarrae Rex» treaty of Munster, 14 Oct 1648 (1 CTS 271), also treaty with Austria 19 Jan 1668 (10 CTS 387). «Rex Gallorum et Navarrae» treaty with England, 3 Nov 1655 (4 CTS 1.)25

 

1.2.3 - L'hypothèse «Saint» Louis IX (1226-1270): traduction, a priori de la perception et «exigence positiviste.»26

Même si une majorité d'auteurs semblent s'accorder pour reconnaître en Philippe II «Auguste» le premier «rex Francie», le sentiment de confusion générale se renforce encore devant la découverte d'un autre prétendant au titre. Citant Colette Beaune, les rédacteurs de l'article «Francie» sur Wikipédia attribuent le premier titre de «roi de France» à Saint-Louis (Louis IX):

«C’est en 1254 que Rex Francorum laisse la place à Rex Franciæ.»27

Il serait même possible d'identifier «Saint» Louis IX comme le premier «roy de France» (en français.)

Une remarque de Louis Carolus-Barré permet d'expliquer la multiplication de la première apparition supposée du titre de «roi de France» dès le 13ème siècle. Louis Carolus-Barré constate qu'à l'époque de «Saint» Louis IX, de rares actes adressés à des administrations territoriales du nord-est de Paris, ou les traités diplomatiques adressés aux Plantagenêts, sont rédigés en langue vulgaire et le «roy de France» n'y apparait que comme traduction de «Francorum rex»:

«Dans cet ensemble rédigé en langue latine, il m'est arrivé [...] de trouver quelques actes en langue vulgaire [...] mais le texte de ces divers documents est conservé seulement en copie, et l'on n'a pas de mal à déceler qu'il s'agit de traductions faites sur des originaux rédigés en latin.» (Carolus-Barré.1976: 149)

«Etienne Pasquier l'avait justement observé [...] dans ses précieuses Recherches de la France en écrivant «L'Ordonnace du roy saint Louys, de l'an 1254...fut faite en latin (ainsi que l'usage commun de la France portoit lors & auparauant) & depuis traduite par diverses plumes, chacune desquelles approprioit sa version au langage commun de son temps.» (CAROLUS-BARRE.1976: 149)

Dans un article de 1885, Julien Havet partageait toute sa méfiance envers des copies erronées:

«De là les nombreuses copies des chartres mérovingiennes et les formules postérieures (sans parler des actes faux) qui nous sont parvenues avec la leçon rex Francorum «vir inluster», au lieu de «viris inlustribus», et qui ont accrédité cette leçon jusqu'aujourd'hui parmi les diplomatistes. Je crois qu'il faut considérer ces mots, quand on les trouve dans un texte mérovingien, comme introduits par une faute de copie, et qu'on ne doit pas hésiter à les corriger.» (HAVET.1885: 149)

Si alors, les titres des souverains sont susceptibles de subir les variations stylistiques des commentateurs et des «chronographes», si les documents originaux sont imprécisément copiés et traduits suivant les modes de l'époque, il faut admettre que la copie ne fait foi que d'elle même. En 1884, Elie Berger résumait ce principe fondamental, en constatant que (à propos des Actes de Louis VII):

«Ces lettres, que nous ne possédons plus sous leur forme première, ne prouvent rient contre les actes authentiques.» (BERGER.1884: 305)

Pour éviter les pièges tendus par ce «principe d'incertitude», supposant une erreur systématiquement contenue dans les copies et les traductions, le déchiffrage de la légende inscrite sur les sceaux royaux, bénéficiant de l'attention toute protectrice du garde des Sceaux, fournit une information fiable et capable de révéler la forme exacte du titre du souverain. Le document, que le sceau authentifie, sera en mesure de préciser la date d'apparition du premier «roi de France», à condition toutefois de ne pas se fier aveuglément aux commentateurs et préférer la connaissance directe.

Car plus encore que les vagues analogies, la connaissance commune s'appuie aussi sur de grossières erreurs. On ne pourra les expliquer sans recourir à une théorie des habitudes de pensée, érigées en a priori de la perception ou en obstacles épistémologiques:

«A partir de 1190, le sceau de Philippe Auguste est gravé de la mention en latin: Rex Franciæ, roi de France, mais la titulature latine rex Francorum reste par ailleurs en usage jusqu'à la Révolution.»28

L'observation du tableau montrera qu'il est totalement erroné d'affirmer la présence du titre de «rex Franciae» sur le sceau du roi dès 1190. On n'en retrouve la confirmation, ni dans l'inventaire numérisé sur le site sigilla.org, ni sur les inventaires de Natalis de Wailly ou de Louis Claude Douët d'Arcq. Toutes les sources s'accordent sur la légende, encore en latin, du sceau de Philippe II «Auguste»:

PHILIPPUS DEI GRATIA FRANCORUM REX. 121929

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