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Le français pour travailleurs scientifiques et techniques

 

Actes du colloque FOU -  Forum Héraclès - Université via Dominitia Perpignan  - pp.131-141 - ici

Introduction

A partir de la description du manuel Le français pour travailleurs scientifiques et techniques[1] de Věra Stauchová et Miroslav Pravda paru à Prague en 1963, je chercherai à analyser les pratiques d’enseignement spécifiques mises en œuvre à l’époque en Tchécoslovaquie dans le cadre d’un enseignement du français sur objectifs universitaires (F.O.U.)

Après avoir rappelé le contexte historique de production du manuel, je chercherai à en dégager ses implications en termes de méthodologies d’enseignement/apprentissage et les nouvelles formes du français sur objectifs spécifiques qui en découlèrent : le français scientifique et technique et le français instrumental. J’évoquerai brièvement le concept de Français Fondamental et le modèle de la langue de spécialité établi par Marie-Thérèse Gaultier pour vérifier par la suite comment le manuel de Pravda et Stauchová en fait usage.

Puis en utilisant la grille descriptive élaborée à partir des travaux de François Besse publiés dans son livre Méthodes et pratiques des manuels de langues[2], je chercherai à identifier la méthodologie de référence à l’élaboration du manuel et les catégories didactiques mise en oeuvre. 

Dans une dernière partie, après avoir explicité l’intention méthodologique exprimée par les auteurs dans leur avant-propos, je dresserai l’inventaire des outils et des principes didactiques mis en œuvre par les auteurs.

Pour conclure, je tenterai de mettre à jour les spécificités du manuel en termes d’objectifs universitaires et de déterminer ses caractéristiques en comparant l’ouvrage de Stauchová et Pravda d’autres manuels disponibles à la même époque en Tchécoslovaquie.

I - Le contexte historique de production

I-1 : le contexte politique

Même si on peut considérer la période suivant la crise des missiles de Cuba comme une ère de relative détente, l’époque de publication de ce manuel de 1963 s’inscrit non seulement dans le contexte très prégnant de la guerre froide mais surtout dans celui de la décolonisation.

La fin des empires européens entraîna une réorganisation des relations internationales et permit aux états qui venaient d’acquérir leur indépendance de créer de nouveaux partenariats techniques bilatéraux. En effet, dans le but de pallier l’absence soudaine de la métropole et de tenter combler leur déficit technologique et technique, les anciennes colonies vont tout naturellement se tourner vers les Etats du bloc de l’est, réputés pacifistes et anticolonialistes. Les leçons du manuel rendent aussi compte de ce mouvement historique : la leçon VIII prend pour thème une usine moderne de tracteurs est née en quatre ansDialogue entre un Tchécoslovaque et un Malien, la leçon XXI se lance dans le procès du colonialisme.

L’émergence de ces nouvelles coopérations a bien entendu entraîné un développement des cours de langues étrangères destinés à la formation des coopérants. Ce sont des raisons autant historiques que pragmatiques qui ont déterminé le choix de la langue de travail de ces coopérations. De la même façon que la langue du colonisateur est restée très souvent la langue officielle des nouveaux Etats indépendants, elle s’est aussi imposée dans le cadre des coopérations établies par les nouveaux partenaires.

Pour la Tchécoslovaquie de 1963, ces programmes internationaux de coopération et d’aide au développement ont ainsi permis un retour en force de l’enseignement et de l’apprentissage du français. En effet, dès la seconde moitié du XIXème siècle, le français avait été la langue étrangère privilégiée par le mouvement nationaliste tchèque comme un allié dans la lutte culturelle qui l’opposait à l’hégémonie de l’allemand dans les territoires de la couronne d’Autriche. Après la création de la première République tchécoslovaque en 1918, le pays compta plus de 80 Alliances françaises.

Mais après les accords de Munich de 1938 et le coup de Prague de 1948 qui vit la prise du pouvoir par le parti communiste, les relations avec les anciens Alliés de 1918 avaient à peu près complètement cessé. L’enseignement de leurs langues, l’anglais et le français, avait été réduit à la portion congrue. La décolonisation, d’une façon sans doute inattendue et paradoxale, a donc correspondu à une renaissance de l’enseignement du français en Tchécoslovaquie et à l’émergence d’un français de spécialité technique et scientifique.

I-2 : le contexte didactique

Le paradoxe que nous avons observé pour l’enseignement du français en Tchécoslovaquie apparaît plus généralement à différents niveaux. En effet, la décolonisation constitue une fin des liens privilégiés unissant la puissance coloniale aux contrées de son empire. Ses implications se font sentir des deux côtés. Si les anciennes colonies se retrouvent soudain libres de coopérer avec d’autres partenaires, il en va de même de l’ancienne puissance coloniale qui, elle aussi, peut tout à coup développer des relations de coopération avec des Etats qui n’étaient pas traditionnellement sous sa sphère d’influence.

Du point de vue de la didactique des langues étrangères (D.L.E.), ses nouvelles perspectives de formation ont entraîné une diversification des approches et des concepts didactiques. L’histoire du français sur objectifs spécifiques présentée par Hani Qotb sur son site le-fos.com[3] corrobore le fait que la décolonisation servit de cadre à l’apparition de cette discipline d’enseignement/apprentissage particulière qui allait devenir le F.O.U.. Malgré la fin de la colonisation, les liens entre les anciennes puissances impériales et les nouveaux Etats indépendants n’ont pas été totalement rompus (à l’exception notable de la Guinée et de l’Algérie), ils ont davantage changé de nature. La relation de domination a laissé place à un programme de transfert des technologies. Et même si Mamadou Diouf et les historiens font remonter le concept de coopération aux années 1920, cette politique d’aide au développement prit une nouvelle envergure à partir des années soixante[4].

Cette nouvelle dimension de la coopération va donner lieu à la notion didactique de français instrumental[5] dont la spécificité est de mettre l’accent sur la compréhension et la production de l’écrit. Dans cette optique, l’ambassade de France à Mexico va créer dès 1961 le Centre Scientifique et Technique ayant comme mission de préparer les doctorants et les universitaires à lire et à écrire des textes scientifiques.

A la même époque, on assiste également à l’apparition du français scientifique et technique[6]. Le Français Fondamental constitue un élément essentiel de cette nouvelle méthodologie. L’inventaire statistique des occurrences lexicales, élaboré par l’équipe de George Gougenheim, permet aux didacticiens d’organiser la progression de leurs cours en suivant les fréquences d’apparition des éléments lexicaux révélées par les enquêtes sur les terrains linguistiques. Selon ce modèle, les cours se répartissent en quatre étapes. Les deux premières se consacrent au Français Fondamental. Les deux dernières présentent le lexique de la spécialité en passant d’abord par une phase de tronc commun. Comme le rappelle Hani Qotb, ce modèle de langue de spécialité a été schématisé par Marie-Thérèse Gaultier :



[1] V. Stauchová, M. Pravda. 1963. Francouzština pro védecké a odborné pracovníky. Praha, SPN.

[2] Besse, Henri. 2005. Méthodes et pratiques des manuels de langues. Paris, Crédif/Hatier.

[3] http://le-fos.com/

[4] Diouf, Mamadou. Coopération au développement et renforcement des capacités locales : intervention des O.N.G. et marge d’autonomie des acteurs à la base. Article en ligne sur le site memoire On line.com

[5] Qodt, Hani. Le français instrumental. Article en ligne sur le site le fos.com

[6] Qodt, Hani. Le Français scientifique et technique. Article en ligne sur le site le fos.com


 

Obrazek

 



En reprenant la présentation et l’analyse d’Hani Qotb, on peut constater que ce modèle « met l'accent sur trois catégories principales: les sciences exactes et naturelles (mathématiques, physique, chimie, etc.), les sciences humaines (le droit, l'économie, l'administration, etc.) et les Arts et les Lettres (littérature, musique, l'art plastique, etc.). Les deux premières étapes du programme d’enseignement sont consacrées au Français Fondamental. Les troisième et quatrième étapes visent à initier les apprenants aux langues spécialisées selon leurs domaines [1] ».

Actuellement, ce modèle de formation proposé par Marie-Thérèse Gaultier n’a pas entièrement disparu. Les conceptions défendues par Antoinette Zabardi dans un article publié sur le site franc-parler.org, même si elles ne peuvent y être assimilées complètement, reprennent néanmoins ce principe d’une première étape de la formation consacrée au français généraliste précédant l’introduction de la langue de spécialité à partir de la centième heure de formation. Si Madame Zabardi admet la possibilité d’un enseignement du F.O.S. pour des débutants, elle limite cependant cette possibilité à « certaines conditions[2] ». Je chercherai donc dans mon analyse à vérifier comment le manuel de Stauchová et Pravda s’apparente ou se distingue de ce modèle du français de spécialité, s’il peut être assimilé aux approches mises en œuvre par le français instrumental et le français scientifique et technique et avant tout, dans quelle méthodologie générale il s’inscrit.


II – Présentation de la méthodologie utilisée par le manuel de Stauchová et Pravda

II-1 : typologie générale des méthodologies

En reprenant sous la forme d’un tableau de type matriciel, la présentation synthétique des méthodologies de la D.L.E. établie par Henri Besse dans son livre Méthodes et pratiques des manuels de langues[3], je chercherai à déterminer dans quel courant méthodologique s’inscrit le manuel de Stauchová et Pravda.



[1] Qodt, Hani. Modèle du français de spécialité élaboré par Gaultier. Article en ligne sur le site le fos.com

[2] Zabardi, Antoinette. Se former au français sur objectifs spécifiques. Article en ligne sur le site Franc-parler.org

[3] Besse, Henri. 2005. Méthodes et pratiques des manuels de langues. Paris, Crédif/Hatier, 21-46

 

 

Catégories

 

Méthodes
 Trad.  

Gram.

 explicite
 

Descrip.

Morpho

syntaxique
 

Matériel

authentique

Progres.

a priori 
 

Naturelle

 -

-

 -

+

 -

 

Grammaire

Traduction

 +

 +

 +

 -

 +

 

Lecture

Traduction

 +

 -

 +

 +

 -

 

Directe

 -

 -

 +

 -

 +

 De l’armée

 +

 +

 +

 -

 +

 

Audio-orale

 +/-

 -

 +

 -

 +

 S.G.A.V.

 -

 -

 -

 +

 -

 

Communicative

- cognitive

 +/-

 +

 +

 +

 -

 

Stauchová

et Pravda

 +

 +

 +

 +/-

 +

Le signe + marque la présence de la catégorie didactique alors que le signe – indique son absence dans la méthodologie. Le signe +/- indique une présence possible mais non obligatoire ou non exclusive de la catégorie.

II-2 : justification du tableau

Traduction

La traduction occupe une place centrale dans le manuel. Chaque texte qui débute la leçon est immédiatement suivi d’une présentation alphabétique du nouveau vocabulaire accompagné de sa traduction. On retrouve également en fin de manuel un lexique bilingue d’une vingtaine de pages. Les noms communs sont systématiquement précédés de leur article (défini) afin de permettre à l’apprenant d’en fixer le genre et pour le familiariser à l’usage du déterminant. En général, le tchèque n’utilise pas d’article, sauf dans une construction l’associant au nom désignant une personne et qu’on retrouve parfois également en français : « Appelle la petite ! » / « Zavolej tu malou ! » Mais ce genre de tournures caractéristiques de l’oral reste tout à fait absent du manuel.

Les expressions idiomatiques et les éléments de civilisation (par exemple : « préfecture de département ») présents dans le texte de la leçon sont eux aussi accompagnés de leur équivalent dans le paradigme tchécoslovaque en note en bas de page. Les exemples illustrant la partie consacrée à la grammaire sont eux aussi systématiquement traduits.

La partie réservée aux exercices est composée pour la moitié environ d’exercices de traduction (chaque unité comporte une dizaine d’exercices) et se termine systématiquement par un exercice de traduction, une version ou un thème. Cette place à la fois centrale et finale de la traduction lui confère un statut privilégié : elle apparaît comme l’objectif ultime de la leçon et passe pour le moyen de vérifier que l’apprenant a bien acquis les nouveaux éléments.

Grammaire explicite

Pour de saines raisons de méthode, il peut paraître préférable de distinguer l’une de l’autre les catégories de « présentation explicite de la grammaire » et de « description morpho-syntaxique ». En effet une méthodologie utilisant une forme intensive de drills, fournit une description morpho-syntaxique implicite sans recourir à une formulation explicite. Cependant, le manuel de Stauchová et Pravda ne les distingue pas et c’est pourquoi je n’y consacrerai ici qu’un seul paragraphe. J’inclus également sous ce terme de « grammaire » les descriptions phonétiques et les problèmes d’orthographe ainsi que certains aspects de lexicologie : la construction des adverbes et des adjectifs, la signification de certains affixes, etc. Il faut donc l’entendre comme l’ensemble de l’appareil linguistique et métalinguistique nécessaire à la description de la langue.

La grammaire occupe une place prépondérante dans le manuel. La partie consacrée à la présentation des règles et des tableaux de grammaire représente environ un tiers de chaque leçon. La première caractéristique de cette grammaire explicite réside dans l’emploi d’un métalangage descriptif très élaboré qui suppose en fait que les apprenants soient aussi des spécialistes de la grammaire en général. Les points abordés le long du manuel sont très nombreux, tendant vers une certaine exhaustivité. Cette volonté de présenter une grammaire totale amène les auteurs à inclure dans leur programme autant le passé simple que l’imparfait du subjonctif, notamment pour des raisons de concordance des temps.

Il est à noter qu’il ne s’agit uniquement que d’une grammaire de l’écrit. Les verbes sont par exemple toujours présentés avec toutes les personnes, mais le pronom « on » est quant à lui totalement absent des tableaux de conjugaison, il est traité dans une leçon à part.



Matériel authentique et didactique

Mis à part quelques contre exemples, comme la première leçon uniquement consacrée à la phonétique et aux problèmes de graphie et les deux leçons de bilan et de révision, la plupart des 25 leçons composant le manuel fait usage de textes authentiques. Même si ceux-ci sont présentés sous une forme résumée, ils restent certainement « authentiques » car ils ne sont jamais réécrits en français facile.

Ces textes authentiques de présentation, qu’on trouve toujours en début de leçon, sont souvent accompagnés de dialogues ou d’expressions isolés qui reprennent le thème et le vocabulaire du texte qui précède. Ces dialogues didactiques gardent en réalité les caractéristiques de la grammaire de l’écrit. Les questions sont toujours construites par inversion du sujet et il n’est jamais fait usage du « est-ce que », le « nous » est toujours utilisé au dépens du « on »...

En plus de la thématique des sciences et des techniques (extraits issus du livre « Monsieur et Madame Curie », des revues « La Nature », « Sciences et Vie » ou de la « Presse médicale », d’un discours de Frédéric Joliot-Curie, etc.) le choix des textes authentiques manifeste également une orientation idéologique très marquée : l’anticolonialisme, le pacifisme et le marxisme. Il fait également une place aux œuvres littéraires : préface aux œuvres complètes de Jules Verne ou « Les carnets du major Thompson ».

Pour conclure ce point, il est sans doute nécessaire de remarquer que le terme de « texte » authentique est ici plus adapté que le terme contemporain de « document » car dans leur ensemble ils sont effectivement des extraits d’oeuvres à caractère littéraire et jamais des documents issus de la vie réelle comme on en trouve dans les manuels contemporains : des agendas, des publicités ou encore des menus de restaurant.

Progression a priori

La construction du manuel est basée sur une progression correspondant aux fréquences d’apparition des éléments lexicaux et grammaticaux tel qu’elles sont établies par le Français Fondamental. Cet usage du Français Fondamental ne concerne que les occurrences syntaxiques. Le lexique utilisé dès le début de l’apprentissage est un lexique de spécialité. Une démarche systématique du manuel, qui peut surprendre le praticien d’aujourd’hui, consiste à dérouler l’ensemble du paradigme syntaxique. Ainsi, dès que le futur simple apparaît, le futur antérieur sera présenté et traité dans la foulée. On voit donc que le principe du Français Fondamental, revendiqué par les auteurs dans leur avant-propos, est largement amendé par cette démarche de présentation d’une grammaire complète. Cette volonté d’aborder tous les aspects des paradigmes débouche même sur des résultats qui semblent totalement contraire au principe du Français Fondamental, puisque cette logique amène les auteurs à présenter autant le passé que l’imparfait du subjonctif.

Un autre principe qui régit l’agencement des contenus des leçons est la longueur des textes. Ils sont agencés du plus court au plus long. Même si elle n’est pas l’unique objectif, la compréhension écrite reste un objectif primordial pour les auteurs. Le manuel ménage donc une large place aux problèmes de l’orthographe et de la lecture. La première leçon s’y consacre entièrement et tente de dresser un inventaire le plus complet possible des phonèmes du français et de leurs graphies. Puis chaque leçon revient sur un point spécifique. Ce retour méthodique sur les phonèmes et leurs graphies tend à être exhaustif, les 25 leçons du manuel permettent de traiter l’ensemble des 30 phonèmes du français.

II-3 : conclusion

Malgré la date de sa publication, 1963, la méthodologie servant de base au manuel présente toutes les caractéristiques de la méthode classique de grammaire/traduction. Les principes de syntaxe, de phonétique et de lexicologie y sont présentés de manière explicite et leur enseignement est exclusivement déductif. La traduction est une constante du manuel. Elle accompagne systématiquement le nouveau vocabulaire et les exemples utilisés lors de la présentation grammaticale. Elle représente la très grande majorité des exercices et apparaît autant comme un moyen que comme une finalité de l’apprentissage.

Une première différence remarquable avec la méthodologie de grammaire/traduction réside dans le fait que les auteurs ont décidé de faire usage de textes authentiques. Mais leur usage n’est pas exclusif, ils sont accompagnés la plus part du temps de dialogues didactiques présentés hors contexte et qui sont censés réutiliser certains éléments lexicaux du texte de présentation sous une forme orale. Mais la grammaire de ces dialogues garde les caractéristiques de l’écrit.

Le second aspect qui différencie nettement le manuel de Stauchová et Pravada de la méthode traditionnelle et la construction d’une progression basée sur le principe du Français Fondamental. On a vu cependant que ce principe était contrebalancé par une présentation systématique des paradigmes grammaticaux complets.

III – Présentation des principes didactiques mis en œuvre par Stauchová et Pravda

L’apprenant

L’apprenant auquel est destiné le manuel est explicitement identifié comme « un étudiant ou un travailleur scientifique en sciences sociales et techniques[1] ». Ce large spectre des disciplines visées exclut donc une spécialisation tel qu’elle apparaît dans la quatrième étape du modèle de Marie-Thérèse Gaultier. La formation visée par le manuel se contente du tronc commun de la troisième étape.

Bien conscients de cette limite de la spécialisation proposée, les auteurs conseillent donc à l’apprenant de compléter lui-même sa formation par la lecture de textes de sa spécialité afin d’en acquérir le vocabulaire spécifique. L’autonomie à la lecture est prévue pour être acquise à partir de la onzième ou douzième leçon selon le domaine de spécialisation.

Les situations visées

Les situations auxquelles l’apprenant pourra être confronté sont de deux ordres. D’abord une situation que les auteurs qualifient de « passive[2] ». Elle constitue en fait la lecture de textes scientifiques et techniques. Dans ce sens, cet objectif didactique du manuel le rapproche du français instrumental. Mais le manuel revendique également des objectifs de maîtrise des situations orales de communication auxquelles l’apprenant sera confronté dans le cadre des programmes de coopération.

Cette prise en compte des discours oraux par sa méthodologie pourrait alors rapprocher le manuel du français scientifique et technique. Cependant, cet aspect oral reste très largement artificiel. Il prend la forme de questions/réponses, de dialogues didactiques (sans traduction et qui reprennent le thème et le vocabulaire présentés dans le texte de début de leçon) et d’expressions de conversation courante hors contexte, avec ou sans leur traduction.

Malgré donc la volonté explicite des auteurs d’aborder l’oral, le manuel ne traite en réalité que les formes de la communication écrite.

Schéma type des leçons

Pour décrire la structure typique d’une leçon de ce manuel, nous rappellerons que le texte authentique est complété par de courts dialogues didactiques qui peuvent alterner avec des séries de questions/réponses ou des séries d’expressions. Vient ensuite la présentation du nouveau lexique puis un point de rappel des problèmes phonétiques, de prononciation et de graphie.

La partie de grammaire est très détaillée et occupe une large place, environ un tiers de la leçon. Les problèmes lexicaux, morphologiques et syntaxiques sont présentés explicitement et toujours déductivement. Toutes les explications sont données en langue maternelle, les exemples les illustrant sont systématiquement traduits.

Sur la dizaine d’exercices que contient chaque leçon, la moitié est constituée d’exercices de traduction qui sont la plupart du temps des thèmes. L’autre moitié se partage entre des exercices de conjugaison, de choix du mode et du temps des verbes, et dans une moindre mesure, d’exercices lacunaires et d’exercices de compréhension détaillée de texte.

Les illustrations sont rares (une dizaine dans l’ensemble du manuel) et leur intégration didactique est très faible. Elles ont essentiellement une fonction d’illustration des contenus de civilisation.

Aucun matériel audio ou cahier d’exercices n’accompagne le manuel.

Conclusion

Après l’étude du contenu didactique du manuel et de l’avant-propos méthodologique des auteurs, nous avons vu que leur démarche s’approche en partie des formes et des caractéristiques du français scientifique et technique. Si elle reprend le principe d’une progression des contenus déterminée par les résultats exprimés par le Français Fondamental, elle délaisse totalement l’intégration didactiques des images et l’aspect situationnel de la communication qui apparaîtront dans les méthodologies postérieures.

L’approche des auteurs ne correspond pas non plus au modèle de langue de spécialité établi par Marie-Thérèse Gaultier. En effet le Français Fondamental ne fournit pas le contenu éventuel d’une première partie de l’enseignement précédant la spécialisation, mais est utilisé comme forme a priori de l’agencement des contenus et du choix du matériel authentique. La dernière partie de spécialisation qui apparaît dans le modèle de Marie-Thérèse Gaultier est elle aussi absente de la formation en classe. L’enseignant peut éventuellement la traitée sous forme de fiches de lecture préparées par l’apprenant. La démarche des auteurs se focalise sur le tronc commun de la troisième partie du modèle de Marie-Thérèse Gaultier. Elle en généralise l’étendue, dès les premières leçons, à l’ensemble du manuel.

La priorité accordée à la compréhension, et dans une moindre mesure, la production de textes de spécialité, ancre d’avantage le manuel de Sprachová et Pravda dans une approche plus similaire au français instrumental et dans une méthodologie générale de type grammaire/traduction même s’il se distingue de cette dernière par un usage original de textes authentiques.

La comparaison à d’autres manuels utilisés également en Tchécoslovaquie (Français pour la première année des écoles secondaires de Hobzová et Lyer publié 1965 et Français courant et commercial de Hendrich  Kulík et Tláskal publié en 1963) montre que le manuel de Sprachová et Pravda s’inscrit parfaitement dans le contexte méthodologique de son époque. On retrouve dans ces deux manuels les caractéristiques essentielles d’une méthodologie basée sur la traduction comme exercice privilégié et sur une exposition déductive de la grammaire.

Il est à noter que le manuel destiné aux élèves des écoles secondaires est plus richement illustré. Sans doute que l’héritage de Coménius et de son Orbis Pictus reste encore très prégnant dans sa patrie d’origine. Lui conférant un rôle compensatoire, les didacticiens font preuve d’une tendance très marquée à réserver l’image à l’apprentissage de l’enfant. Ils lui accordent la fonction subalterne de divertir l’enfant afin de maintenir son intérêt pour l’apprentissage. Considérant que l’adulte dispose de stratégies cognitives accomplies, ils ne ressentent aucune nécessité d’intégrer les illustrations dans leurs plans didactiques. L’apprentissage chez l’adulte et considérée comme une chose sérieuse, l’image en est donc exclue. Ainsi on ne trouvera pas une seule illustration dans l’ouvrage consacré au français commercial. En revanche, le manuel de Stauchová et Pravda intègre des reproductions de photographies dans une bonne moitié de ses leçons. En plus de quelques vues générales de Paris, on y trouve entre autres un champ à Blida, un tracteur malien, une super caravelle, l’observatoire de Paris, le barrage de Malpasset ou encore des machines électroniques.

Les spécificités des objectifs universitaires, tels qu’ils apparaissent dans le manuel de Stauchová et Pravda, peuvent donc se résumer à un recours à un vocabulaire spécifique dès les premières leçons, à une progression a priori des contenus grammaticaux déterminée par le Français Fondamental et à une utilisation originale d’images qui viennent en fait illustrer des contenus de civilisation jugés suffisamment exotiques pour trouver leur place dans le processus d’apprentissage chez l’adulte.



[1] V. Stauchová, M. Pravda. Op. cit, 5

[2] Ibid.

 


Bibliographie et ressources


- Besse, Henri. 2005. Méthodes et pratiques des manuels de langues. Paris, Crédif/Hatier.

- Diouf, Mamadou. Coopération au développement et renforcement des capacités locales : intervention des O.N.G. et marge d’autonomie des acteurs à la base. Article en ligne sur le site memoire On line.com http://www.memoireonline.com/05/09/2087/m_Cooperation-au-developpement-et-renforcement-des-capacites-locales--Intervention-des-ONG-et-marges7.html Consulté le 10 mai 2010)

- J. Hendrich, O. Kulík, J. Tláskal. 1963. Francouzština běžné a hospodářská (Français courant et commercial.) Praha, SPN.

- Hobzová, S. Lyer. 1965.Francouzština pro I. Ročník středních škol (Français pour la première année des écoles secondaires.) SPN, Praha.

- Qodt, Hani. Le français instrumental. Article en ligne sur le site le fos.com. http://www.le-fos.com/histo-tableau.htm (consulté le 14 mai 2010.)

- Qodt, Hani. Le Français scientifique et technique. Article en ligne sur le site le fos.com. http://www.le-fos.com/historique-2.htm (consulté le 14 mai 2010.)

- Qodt, Hani. Modèle du français de spécialité élaboré par Gaultier. Article en ligne sur le site le fos.com. http://www. le-fos.com/historique-3.htm (consulté le 14 mai 2010.)

- V. Stauchová, M. Pravda. 1963. Francouzština pro védecké a odborné pracovníky (Le français pour travailleurs scientifiques et techniques.) Praha, SPN.

- Zabardi, Antoinette. Se former au français sur objectifs spécifiques. Article en ligne sur le site Franc-parler.org http://www.francparler.org/articles/zabardi2005.htm (consulté le 9 mai 2010.)

 

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